S'inspirant, sans toutefois reprendre à la lettre des épisodes des Mille et une Nuits, Sergio Toppi dans ces quelques histoires commandées par la revue Alter Alter à la fin des années soixante-dix, s'évertue à éclater les cases de la BD. Niant la frontière entre illustration figée et bande dessinée, chacune de ces pages est un véritable tableau possédant une dynamique propre où s'emboitent des corps emmaillotés de trames et d'émaux klimtesques, desquels s'extirpent des visages sillonnés à la Rembrandt et des membres décharnés à la Schiele. Surchargeant ses feuillets - presque jusqu'à l'abstraction - d'une nébuleuse de signes, de motifs et autres glyphes, il crée son propre langage graphique. La plume virtuose sait se faire fait tour à tour cassante comme les nombreuses épées qui se hérissent dans le désert, minérale comme les roches escarpées qui abritent les génies malfaisants ou encore arabesque comme les cheveux ondoyants des princesses.
Il refuse également les nombreux poncifs crémeux, notamment l'érotisme grotesque et les esclaves alanguies sur les coussins de Sardanapale, dont on tartine habituellement ce genre de recompositions mythologiques. Bien au contraire, Toppi tente ici de reconstruire une civilisation antique, antédiluvienne, mélangeant pèle-mêle calligraphie arabe, masques africains, riches soieries indiennes, bijoux dorés aztèques, armes barbares et architectures fantastiques.
Débarrassé de ces images d'Epinal, cet univers aride, graphiquement original et à la puissance évocatrice terrible plonge en quelque sorte à une source primordiale, brute et universelle et parvient à retrouver l'essence même du conte ; faire rêver et émerveiller.