Shutter Island par Adrast
On prend les mêmes et on recommence. Mais à l'envers, comme Dagobert. Cette fois, c'est à un Shutter Island esthète qu'on fait face. Le strict intermédiaire entre le roman et le cinéma : le média de la BD, lui-même paru entre le livre et le film. A rebours, j'ai donc consacré un de mes instants de plaisir à l'exploration de cette île sépulcrale où Andrew Laeddis a maquillé son malheur, en constatant sans surprises des variantes bien notables. Différences criantes qui laissent croire, sans avoir « consulté » le livre, que le film constitue bel et bien une libre adaptation, conservant l'esprit de départ, tout en y ajoutant une grandiloquence toute hollywoodienne. En effet, exit l'évocation iconique de la seconde guerre mondiale, qui s'eclipse au profit de la parole et non de la chimère cauchemardesque. Décalée l'énigme, qui reprend pour ce que j'en sais le cryptogramme du livre, et non pas l'équation simpliste du film. Par raccourcis, la liberté du film rime parfois avec facilités qui s'exerce dans l'association de scènes disparates que prend la bande-dessinée prend soin de nous (r)enseigner dans l'ordre initial, ainsi épurée de toute interpénétration scénique du film. C'est parce que l'écart informationnel entre la version cinématographique et celle du neuvième Art peut laisser pantois, que l'on ne peut que se demander pourquoi Scorcese a délibérément choisi de nous laisser à certains égards dans l'expectative. Ménager le mystère pour respecter le plus longtemps possible le dénie de « son » protagoniste semblait sans aucun doute être une de ses priorités quitte à débarquer quelques éléments de l'intrigue d'origine et par la même occasion quelques spectateurs en route.
Le rôle de l'étudiant George Noyce, pour preuve, pouvait paraître flou, succinct voire anecdotique dans le film, alors que la BD lui réserve une assise de choix que l'on imagine bien plus conforme à celle du roman - même si l'on se doute que cette oeuvre n'en restitue pas toutes les subtilités. Chouaillé, le lecteur est pris par la main, rien ne lui échappe et chaque détail, même le plus infime, est finement amené pour ménager pour occuper et relâcher son attention quand les remous de l'intrigue le permettent.
Alors que Scorcese semble avoir eu pour impératif de réaliser un condensé cohérent de l'oeuvre de Dennis Lehane, quitte à en édulcorer l'univers et réaliser quelques impasses, il a toutefois offert au spectateur une libre interprétation pourvue d'agréments que la BD omet en toute logique. Pour preuve la scène de la grotte, signant la confrontation de Teddy avec ce qu'il croit être la véritable Rachel, qui entérine sa suspicion à l'égard du personnel mais aussi et surtout de son acolyte. Dans la BD, ce n'est pas Rachel mais Noyce qui amène ce doute, couplé au discours « révisionniste » du docteur Cawley quant à la véritable existence de son partenariat avec Chuck Aule, qui n'est pour votre gouverne qu'un calembour avec le verbe anglais « to Chuckle », qui signifie « glousser », « rire ».
Pour faire court et aller à l'essentiel du média que j'ai en mains (propres), le film a amené à la BD ce qu'elle a sans conteste apporté au roman : une mise en images toute subjective que Scorcese aura pris à coeur de sublimer par le sensationnel, lorsque Christian De Metter aura sorti la carte de la modération ; marquée du sceau de la réclusion, jouée d'un intimisme profondément sombre doublé d'une épaisseur onirique désincarnée qui resplendit en chaque songe de notre Marshall ; et plus encore chaque case dont la qualité artistique est indéniable.