Avant Silence, il y a une préface grandiloquente et poétique, qui annonce un truc tellement grandiose que l'on peine à y croire.
Puis vient le dessin. Un noir et blanc sec ou sévère, le paysage donne froid, la campagne semble morte. Les traits des visages sautent ensuite aux yeux ; ceux de Silence, simples et anguleux, comme sa gentillesse, originée par son idiotie sans parole. Il pense avec des fautes d’orthographes phonétiques, c'est étrange. Les villageois eux sont bourrus, fatigués - les lignes encrées donnent corps à leurs personnalités.
Puis vient l'histoire. Dès le deuxième chapitre, lors d'une nuit orageuse (magnifiée par ce noir et blanc qui s'inverse à la lumière des éclairs), une sorcière étrange vient à la rencontre de Silence. Le muet débile et la dame aux yeux brûlés, quelle rencontre ! Des secrets se révèlent dans un théâtre de guignols, au creux d'histoires d'amours interdits ayant pour protagonistes des gitans en fuite de la guerre - la sorcellerie fantastique fait acte de vengeance terrible.
Mais Silence est gentil, il ne comprend rien. Au milieu de ces sombres conflits, Silence est le témoin de la bêtise humaine, celle des "intelligents" qui savent ce qu'est la haine, qui ont le meurtre au bout des doigts.
On ressent la sensibilité de Comès à l'étrangeté radicale de l'autre et ses effets de crainte chez les "normaux" ; en plus des gitans, des sorciers et de le bouffon du village, l'auteur nous emmène dans un asile - "Fou !... Oui, il est fou... Comme nous tous !... Enfermés dans notre différence comme dans une immense solitude... L'incompréhension est l'alibi du "sage"... ça lui permet de dormir !" - et dans un cirque - "Les derniers vrais poètes, amoureux de la sciure et de l'odeur du crottin !"
La fin, inattendue, est tragique et poétique - la préface avait raison.