Quand on m'a porté cette "BD géniale que je devais lire", je n'ai pas bien réagi. Encore un truc qui surfe sur une sociologie critique racoleuse, celle qui crée des blocs opposables faciles à exploiter pour les médias, comme par exemple des femmes qui ne font pas la différence entre galanterie et machisme versus des hommes infoutus de distinguer sexe et violence - pensais-je.
Mais là n'est pas tout à fait l'objet. Cette BD est basée sur un vrai travail de sociologie : "Alpha Mâle, séduire les femmes pour s'apprécier entre hommes".
On y suit une troupe de la communauté masculiniste française (petit mouvement étrange et pénétrant qui nous vient des States) ; plus précisément de fraîches ouailles d'autoproclamés "coaches en séduction".
A l'instar de n'importe quel marketeux ou "coach de vie", ces derniers exploitent un gloubi-boulga de psycho et de sciences comportementales pour faire de la drague un sport d'équipe, et plus dérangeant, une forme de doctrine (et plus banal, un commerce).


Je ne l'ai pas lu mais j'imagine que le bouquin propose plus de clés de réflexion. La BD a l'intelligence et la faiblesse d'amuser le lecteur en le laissant juge. Le ton est ironique ; difficile de ne pas rire du pathétique de cet univers avec son mode vachement opératoire et son jargon super technique. Pourtant certains y verront une poussée très inquiétante de la misogynie, quand pour ma part j'y vois surtout un symptôme de la résistance au changement, à cette voie de l'indépendance de la femme trèèèès lente et incertaine mais qui angoisse manifestement les virilités les plus vulnérables.
Par ailleurs, la BD ne fait pas mention du business model de cette niche économique des coaches de séduction, stages, bouquins, sites, forums générateurs de clic et autre. Dommage, il y a un truc à creuser je crois, y compris dans le contre-modèle.



LIFE STYLE
Style de vie. Lis, sors, cultive toi. Rends la vie riche. Qui ça intéresse quelqu'un qui ne pense qu'à la drague ? Tu les veux à genoux ? Aies la carrure d'une idole. Augmente ton Life Style pour utiliser le DHV (Demonstrating High Value).



Tout adulte normalement câblé aura saisi la contradiction intrinsèque de ce passage du (rigolo et effarant) petit lexique fourni par cette BD.
Qui ça intéresse quelqu'un qui ne pense qu'à la drague ? Vous faites bien de poser la question coach. En vrai ça intéresse n'importe qui ayant la même vie que ces pauvres types, essentiellement dirigée par cette quête épuisante de soi dans le regard de l'autre (et sa chair, accessoirement). Autant dire pas mal de monde, voire tout le monde selon l'âge et/ou le back office. Et ce dernier est hélas plus lourd pour la gente féminine, à qui l'on apprend depuis des siècles à ne vivre que par la séduction de l'homme puis la maternité.
Ces techniques marchent donc forcément pour l'AVG (Average Frustrated Chump) que l'on suit dans la BD, qui n'aspire qu'à combler son mâle-être en devenant un PUA (Pick Up Artist) : quand bien même toutes les donzelles ne tombent pas dans ses filets, il en tombe plus qu'avant, et surtout, surtout, ses pairs lui renvoient enfin une image positive. Le mec reprend confiance en lui et se fait des potes, trouve enfin une place dans une société hautement sexualisée, tout en intégrant des valeurs lamentables (misogynie, homophobie, manipulation intéressée d'autrui, superficialité extrême... ).

claucloc
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le 7 janv. 2018

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claucloc

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