Si Wallace Wood dit Wally Wood connaît actuellement une redécouverte bien méritée avec une exposition en 2020 au Festival d’Angoulême et des rééditions enrichies de ses œuvres (le violent Cannon et le sexy Cons de fées, dans deux genres bien différents), l’auteur américain avait déjà eu droit chez nous à une belle salve d’albums en son honneur entre la fin des années 1970 et le début de la décennie suivante.
L’auteur connaissait alors une fin de vie et de carrière un peu pénibles aux États-Unis, mais il devait être ravi de l’accueil qu’on lui offrait alors en France, certaines de ses dernières histoires furent publiées dans notre beau pays avant son pays natal. Il le devait à Fershid Bharucha, d’abord défricheur de talents puis éditeur, qui fit donc découvrir Wally Wood, mais aussi Will Eisner ou Richard Corben, un grand monsieur de l’édition française qui apprit aux lecteurs français qu’il n’y avait pas que le super-héros aux États-Unis.
Sorcelleries est édité par ce monsieur, au sein de sa collection Neptune. Sorti en mai 1982, cet album est probablement un hommage à Wally Wood, qui s’est alors tué quelques mois plus tôt, à cause de ses problèmes de santé. La couverture propose même le scénariste et dessinateur sur son visuel, adaptant une des cases de l’album.
Mais le choix des histoires retenues peut surprendre, tirées de productions Marvel pour lesquels l’artiste a généralement rendu un travail soigné, mais dont le ton assez consensuel lui allait mal.
Notons qu’on peut tout de même diviser cet album en deux parties bien différentes, dont la première est composée d’histoires courtes extraites de l’éphémère série Tower of Shadows (9 numéros entre 1969 et 1971).
Les quatre histoires dont il est question prennent place dans un monde de fantasy, avec le plus souvent un retournement de situation comme il était de coutume dans ces collections anthologiques. Dans Le Sanctuaire, la meilleure, un despote devenu fou se laisse enfermer dans sa tour pour stopper les invasions régulières de créatures qui en veulent à sa vie.
Malgré quelques figures d’anti-héros, ces histoires ne font pas oublier que nous sommes dans une production Marvel, si le personnage principal est trop vénal ou despotique, il sera puni, les plus purs (comme ce charmant héros juvénile de L’essor de la peur) ou les moins corrompus (l’équipe d’aventuriers de Sorcelleries !) seront récompensés. Bien sûr, si méchant il y a, il trépassera. Nul doute qu’un Wallace Wood plus libre aurait proposé plus de nuances, mais le cadre de Marvel lui sied assez mal, et ces histoires ne sont guère marquantes.
On y retrouve tout de même le trait de Wally Wood, vif et aux compositions dynamiques. Lui qui aimait ce genre d’univers (cf. les histoires fantaisistes de Cons de fées) aurait tout de même pu faire encore mieux. Si la première et la troisième histoires sont assez réussies, la deuxième et la quatrième semblent bâclées, sans particularités, sans la personnalité de l’artiste.
De la personnalité, les histoires suivantes n’en manquent pas puisqu’on y retrouve une certaine force dans le visuel spectaculaire très comics dans l’âme. Pourtant, ce ne sont pas les super-héros qui sont à l’affiche mais l’un de leurs plus terribles ennemis, le Dr Fatalis.
Quelle différence dans le traitement visuel alors que ces deux parties datent de la même période. Ces petites histoires mais qui se suivent comme un feuilleton proviennent des trois premiers numéros d’Astonishing Tales publiés en 1970 avec qui le despote de la Latvérie partageait le sommaire avec Ka-Zar (non présent ici).
Le scénario est signé Roy Thomas pour les deux premiers numéros, grand artisan du Marvel de ces années là, avant qu’il ne laisse sa place pour le troisième à Larry Lieber, frère de Stan Lee, tout de même. Cette valse des têtes pensantes n’a que peu d’incidences, l’ensemble étant mené d’un bout à l’autre sur le même rythme, rapide mais aussi un peu trop renouvelé avec ses rebondissements parfois improbables.
Cela va vite, très vite, et s’il fallait résumer les histoires il faudrait parler des tentatives de la résistance pour reprendre le pouvoir au Dr Fatalis, avec son lot de personnages, la traîtresse Ramona, le prince légitime Rodolphe, un androïde surpuissant et un mystérieux personnage dans les coulisses (qui s’avérera être un extra-terrestre : ce qu’il voulait, on ne saura pas).
Ce n’est pas des plus structurés mais l’ensemble se tient sans être trop attentif à son scénario et surtout grâce à son personnage principal. Fatalis reste Fatalis, hautain et dangereux, despotique et manipulateur. Marvel est ainsi pris au piège de son propre jeu, son personnage est mauvais mais il ne peut lui faire payer ses méfaits, les lecteurs s'en seraient offusqués.
Sorcelleries est donc une œuvre curieuse, un hommage à un grand auteur mais dont les histoires qui composent cet album ne font pas partie de ses meilleurs travaux. La diversité des deux parties permet tout de même d’apprécier la variété des possibilités de Wally Wood. Cette édition reste donc une petite curiosité pour ces raisons.