Soul Eater
6.4
Soul Eater

Manga de Atsushi Ōkubo (2003)

Critique tome par tome de "Soul Eater" jusqu'au T8

Tome 1 :


Première tentative pour ma part de me confronter au manga "ado", qui n'est pas forcément ma tasse de thé, évidemment, et j'ai choisi "Soul Eater", du fait de sa forte réputation en ce moment. Première impression : le style graphique incroyablement créatif et dynamique rend chaque page à la fois magnifique et difficilement lisible, jusqu'à ce que, naturellement, on s'habitue à sacrifier la compréhension "fine" pour n'en garder que l'impression de mouvement et d'imagination incessante. Seconde analyse : voici un univers curieux, à la fois hyper-violent (les "héros" ont pour but de tuer le maximum de gens pour "manger leur âme", et il n'y a nulle préoccupation éthique ou morale à l'œuvre ici), hyper-sexué (un petit côté érotisme ultra soft, pas désagréable, il faut l'avouer, même dans un contexte assez "ado boutonneux", quand même), et totalement puéril : l'histoire est - comme c'est la règle du genre, apparemment - réduite à une succession d'affrontements, et baignée d'un humour assez régressif pas désagréable. Bref, on a l'impression de faire le grand écart entre "art noble" (le dessin) et "sous-culture crétine" (le sujet), ce qui est assez perturbant. A suivre, quand même...


Tome 2 :


"Soul Eater 2" se révèle - malheureusement - sans surprise par rapport au premier volume : dessins remarquables d'inventivité - surtout dans l'alternance de styles, du plus sophistiqué ou plus "punk" - au risque quand même de l'illisibilité ; scénario on ne peut plus basique, réduit pour le moment à une succession de combats dont les enjeux sont d'autant plus troubles qu'il est peu clair comment les héros peuvent "perdre", les blessures les plus extrêmes semblant sans impact sur eux. Entre le manque de tension des affrontements qui sont plus des chorégraphies que de véritables duels, et l'abstraction totale du monde où ils se situent, "Soul Eater" est pour le moment un manga aussi formellement abouti que littéralement assommant.


Tome 3 :


"Soul Eater 3", comme les deux tomes précédents, alterne les moments de franc délire, assez sympathiques - on appréciera particulièrement l'épisode "Excalibur" qui désacralise avec un humour potache du meilleur effet l'un de nos mythes -, et les scènes finalement assez conventionnelles : on reste en effet ici fidèle aux codes habituels des récits d'arts martiaux, même dissimulés au cœur d'un univers "gothique" occidental, et "Soul Eater" n'est bien, derrière son explosive audace formelle, qu'un manga pour adolescents comme les autres. Si l'on ajoute la difficulté que semble avoir Ohkubo à conférer de la cohérence à son univers original (n'est donc pas Tim Burton qui veut…), et à construire une vraie narration qui relie les différents épisodes, force est de constater que "Soul Eater", en dépit de son excellente réputation, risque bien de rater l'opportunité de devenir un manga qui marque vraiment son époque.


Tome 4 :


Est-ce le fait que je commence à m'habituer à "Soul Eater" au quatrième tome, après ce qui a peut-être été un "choc culturel" pour moi, qui n'était pas vraiment habitué à la lecture de mangas "pour ados" (je ne sais pas trop ce que ça signifie, malgré tout, ayant toujours considéré la BD comme un genre "trans-générationnel"…) ? Ou ce quatrième tome est-il vraiment supérieur aux trois premiers ? Toujours est-il que j'ai pris beaucoup de plaisir à l'hilarant épisode de "l'examen écrit de la mort" - un épisode sans baston, purement humoristique -, ainsi qu'à la délirante rencontre entre Kid (le dieu de la mort obsédé par la symétrie) et le Hollandais Errant : certaines images y atteignent une sorte de sublime par leur conjugaison d'une imagination plus que délirante (le Hollandais dont la tête a été tranchée dans les deux sens… Si, je vous jure que c'est délirant, et pas stupide !) et d'une technique graphique exceptionnelle. Dommage seulement que l'histoire centrale, celle du combat entre sorcières et Shibusen reste toujours aussi incompréhensible...


Tome 5 :


Il a donc fallu 4 volumes de préparation, de mise en forme, de tâtonnements, d'erreurs pour en arriver à ce 5ème tome qui synthétise parfaitement le projet d'Okhubo : un scénario assez classique (l'école, la tradition, l'apprentissage, le complot et la menace extérieure, les tensions entre les élèves,... Euh Harry Potter, quelqu'un ?), un dessin expérimental qui cherche à exprimer d'une manière plus libre et... nouvelle, aussi, mouvements du corps comme ceux de l'âme, des poussées triviales bien venues - le sexe, tendance ado boutonneux, mais aussi toutes les petites vilenies de la vie - qui ramènent le récit vers le concret, et un humour très premier degré, pas très fûté, se permettant parfois quelques belles envolées vers la dérision. On sentait le potentiel dans les 4 premiers tomes, mais la difficulté de lecture (des dessins brillants mais peu lisibles) et le manque de ligne directrice dans l'intrigue faisaient qu'ils nous tombaient des mains... Et là, miracle, tout se met en place pour 192 pages de fantaisie, de plaisir, et de stimulation aussi - la difficulté de compréhension reste là, mais on prend goût à décortiquer ces images pour en extraire le sens... Et si moi, le lecteur réticent, j'avais fini par faire la moitié du chemin vers "Soul Eater" ?


Tome 6 :


Le sixième volume de la saga "Soul Eater" poursuit sur l'excellente lancée du précédent : tandis que l'affrontement dantesque entre élèves et professeurs de l'école d'un côté, et sorciers et forces du mal d'un autre, se poursuit dans les sous-sols de la ville, Ohkubo continue à tester comme un malade des formes narratives et graphiques les plus audacieuses possibles : on n'oubliera pas de sitôt la représentation ultra-simple mais puissante de la schizophrénie de Crona enfant, sans doute le plus beau moment du livre. On appréciera aussi l'inventivité formelle éblouissante lors du combat final entre Shinigami et le Grand Dévoreur, d'un formidable dynamisme (sans oublier l'humour potache de Ohkubo, jamais en manque de blagues vaseuses pour désamorcer le sérieux de n'importe quelle situation…). A la fin de ce volume, comme dans Harry Potter encore une fois, Ohkubo nous agite la promesse d'un conflit ayant largement débordé les limites géographiques de l'école des "Death scythes", et on en salive d'avance...


Tome 7 :


Grave régression pour "Soul Eater" que ce 7ème volume qui voit Ohkubo patauger assez lamentablement pour relancer notre intérêt après le climax des deux précédents tomes. Car comment repartir après le duel multiple / au sommet qui a opposé nos héros aux forces du mal : lorgner vers la comédie teenage façon hollywood ? Introduire de nouveaux personnages encore plus délirants ? Plonger certains des personnages dans des situations inextricables ? Rien ne semble vraiment fonctionner ici, et même l'affrontement avec le golem et l'homme-tronçonneuse, seul moment d'action, est curieusement pâle et sans saveur. Bref, ce tome 7 nous tombe littéralement des mains, et si cela ne s'améliore pas au prochain, il sera temps de déclarer forfait !


Tome 8 :


Alors que Soul Eater continue à dérouler son programme ultra-typique de manga pour ado (intrigue devenue incompréhensible, introduction permanente de nouveaux personnages sensés renouveler la dynamique des combats et apporter de nouveaux concepts ébouriffants), le lecteur fatigué continuera à se raccrocher au graphisme inspiré - pas forcément très lisible, mais c'est si beau, tout cela ! - ainsi qu'aux quelques rares moments de pause ou de comédie, rafraîchissants au milieu de toute cette débauche d'énergie finalement assez gratuite. Et au milieu de ce 8e tome, miracle : une dizaine de pages sublimes, à la fois parfaitement simples et radicalement terrifiantes (la possession d'une petite fille), qui montre qu'Ohkubo pourrait être un sacré conteur, et même un vrai artiste, s'il sortait des poncifs...

EricDebarnot
5
Écrit par

Créée

le 19 sept. 2014

Modifiée

le 18 oct. 2014

Critique lue 1.7K fois

2 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

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2

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