En 2007, Straczynski veut achever son énorme run sur Spider-Man d'une manière incroyable. Dans le même temps, Quesada, nouvel éditeur chez Marvel, tient à rendre Spider-Man plus proche des lecteurs, et pour cela il faut, selon lui, le ramener à son état de célibataire et non en faire un adulte heureux et épanoui dans son mariage.
Les deux sont tombés d'accord pour réaliser cet ultime récit ensemble. Straczynski au scénario, Quesada au dessin et à l'édition. Si possible en ramenant l'identité secrète de Spider-Man, donc annuler l'une des principales conséquences de Civil War.
Pour cela, le récit incroyable va raconter comment Peter Parker et Mary-Jane Watson-Parker n'auront pas d'autre choix, pour sauver Tante May, touchée mortellement par un homme de main du caïd, de pactiser avec Mephisto et de renoncer à leur amour.
Bon, autant ne pas se le cacher, 10 ans pus tard One More Day (Un jour de plus en VF) n'a que peu d'écho positifs et on le considère généralement comme l'un des récits importants de Spider-Man par ses conséquences mais fondamentalement mauvais.
Pour autant, tout n'est pas à jeter dedans, ni dans ses conséquences. Premièrement, Quesada a réalisé ce qu'il voulait : éloigner le problème d'un Peter faisant trop vieux pour les 20 prochaines années. Effectivement on est très loin, actuellement, d'avoir un Peter marié. Bon, après on s'amusera de voir que Dan Slott a écrit sur Spider-Man une majorité d'histoire qui aurait très bien fonctionné, fondamentalement, même avec un Peter marié (Spider-Island, Spider-Verse, et tout le délire où Peter est un Stark-like).
Bon, pour les conséquences, on ne va pas se mentir : détruire Civil War quelques mois après sa conclusion, c'est ridicule. Faire oublier l'identité secrète de Spider-Man c'est insultant. Ramener Harry Osborn c'est une bonne idée. Faire rompre Mary-Jane et Peter fut, sur le long terme, une réelle idiotie. C'est d'autant plus triste que c'est à relier à la principale qualité de ce tome.
En effet, Straczynski montre ce couple de manière crédible, convaincant. On sent qu'il a travaillé dessus pendant 6 ans, qu'il maîtrise ses personnages. Ainsi on est forcément bouleversé à la fin, quand ils sont forcés de renoncer à leur amour.
La narration est assez intelligente, le rythme pesant. On est pris à la gorge par ce choix cornélien : l'amour entre Peter et Mary-Jane ou la vie de Tante May ?
Le problème c'est que d'emblée on a déjà du mal à y croire. Est-il réellement crédible qu'aucun personnage de l'univers Marvel ne puisse simplement soigner une vieille femme touchée par balle ? Bon, ok, je veux bien croire que dans notre monde ça soit impossible, mais entre les X-Men, les Avengers et les Fantastic Four vous n'allez pas me faire croire que ça ne marche pas ?
Malgré cette limite scénaristique incroyable et impossible à concevoir, le gros problème du scénario est que celui-ci n'avance que dans un seul sens : nous pousser à accepter que la mort de May est impossible à esquiver, qu'il faut en faire son deuil. Alors autant dire que le pacte semble bien gratuit, surtout qu'il a été accepté avant que Mary-Jane n'ait changé des détails pour rendre la vie de Peter plus belle.
Donc on a un comics qui ose modifier de manière grandiloquente et bien gratuite l'un des couples les plus fondateurs de Marvel. Un récit qui change en profondeur l'histoire mais qui en même temps, malgré un réel talent technique n'arrive pas à convaincre. La faute à un pitch de base invraisemblable, à une progression qui va à l'inverse de son dénouement, à des personnages qui font des choix s'opposant à leur personnalité, et bien sûr à des conséquences inacceptables (que ce soit le mariage ou l'identité secrète).
On a donc un résultat étonnant : sur la forme, c'est pas si mal, c'est beau, la narration est pressante, le couple est maîtrisé. Mais sur le fond, c'est déplorable : on n'y croit pas, on est invité à refuser le résultat dans sa réalisation et dans ses conséquences. Ce comics est finalement indigne de ce qu'il veut amener, c'est surtout ça le problème. Comment y croire ? Comment aimer cela ? Comment accepter qu'en 4 numéros on modifie à ce point l'histoire ?
One More Day achève le run de Straczynski dans le sens inverse de ce que l'auteur n'avait eu de cesse de réaliser. Il aurait voulu faire un Peter grand, adulte. Il aurait voulu montrer faire une relation plus réaliste avec Tante May, avec Mary-Jane. Il aurait voulu faire évoluer Peter Parker et finalement, il offre un retour aux années 60.
Pour l'anecdote, Straczynski avait d'ailleurs demandé à être enlevé des crédits des deux derniers numéros. Il faut dire que dans son scénario d'origine, la modification était beaucoup plus fondamentale : Gwen ne mourait pas, Harry et MJ finissaient ensemble, etc. Pour Quesada qui voulait rendre Peter Parker plus accessible, je ne pense pas qu'échanger une rousse contre une blonde l'ait convaincu.
Malgré ce sentiment de trahison compréhensible que l'on ressent par ce récit trop rapide et amenant un Deus ex Machina trop gros pour passer facilement, on peut souligner que l'histoire fut faite en 2007, non en 2017. Une époque où imaginer un héro dans une situation trop stable était impossible.
Depuis, Superman a eu un enfant (en 2015 dans Convergence), il a le droit depuis juin 2016 a sa propre série avec son fils. La preuve qu'un personnage peut être marié, père, et continuer à plaire. Depuis 2006, Batman a un fils également et son rapport père-fils fut développé en 2011 avec Tomasi. Depuis 2016, avec Secret War, Marvel a montré une version alternative où Peter et Mary-Jane ont un enfant. Depuis un an on a même des indices nous disant que le marché va être changé, que la vérité va revenir. Même si dans le même temps Dan Slott ne cesse d'affirmer que jamais les deux ne seront de nouveau mariés, on peut se demander si, d'une manière ou d'une autre, One More Day ne finira pas par s'effacer. Ce ne serait peut être pas une mauvaise idée … Après tout, 10 ans plus tard, on espère encore que ce n'est qu'un mauvais rêve, si ce n'est pas une preuve de médiocrité …