Une naissance, des disputes de couple, des traditions discutables et … un baptême sanglant.
Voilà bien longtemps qu’Herbert de Vaucanson n’est plus le nullard à la bagarre et le petit branleur insouciant et blagueur découvert dans Cœur de canard (DZ1), mi-tire-au-flan, mi-fanfaron, déclenchant systématiquement sans le vouloir des conneries cosmiques entre deux choppes de bière bues à la taverne de Zootamauxime avec son copain Marvin. Devenu guerrier émérite, Herbert est désormais marié à Isis, père de famille et Duc en exil prêt à reprendre bientôt son duché par la force. Une situation qui explique qu’à la déconnade et à l’humour habituels de la branche Donjon Zénith, Trondheim et Sfar ajoutent dans ce Larmes et brouillard une bonne dose de tension, de drame – de tragédie même – et d’émotions intenses.
D’un point de vue émotionnel, Larmes et brouillard se place d’ailleurs parmi les albums les plus émouvants de la série, avec nombre de scènes qui prennent aux tripes par leur intensité dramatique. L’album parle de sacrifice de nourrisson, de couple qui se sépare, de père qui renie ses enfants et cherche à assurer sa descendance coûte que coûte avec la première catin venue, de luttes fratricides entre amis ou entre membres de la même famille … A ce titre, on est plus proche de certains albums parmi les plus poignants de la série comme Le cimetière des dragons (DC101), La fin du Donjon (DC111), Les profondeurs (DM9), Des soldats d’honneur (DM10) ou Réveille-toi et meurs (DM13) que de Cœur de canard (DZ1) ou Le roi de la bagarre (DZ2), qui ouvraient la période Donjon Zénith dans la rigolade. Un changement de ton dans la série qui personnellement ne me dérange pas du tout, tant Sfar et Trondheim ont réussi à m’émouvoir avec cet album.
En parallèle, les « donjonmaniaques » seront surement ravis d’en apprendre toujours plus sur l’univers de Donjon : découverte de nouvelles coutumes draconistes, de nouveaux sorts, de nouveaux décors (le royaume de Céphalonia au cœur des immenses steppes kochaques, entr’aperçues une seule fois auparavant dans La princesse des barbares (DZ3)), compléments d’informations sur la magie et sur le peuple kochaque via ses coutumes et ses traditions, ses différentes castes … Trondheim et Sfar continuent d’enrichir leur univers.
En tant que membres de l’OuBaPo, Sfar et Trondheim se sont par ailleurs amusés à inclure Larmes et brouillard simultanément dans deux cycles d’albums (une première dans la série), ce qui rend la lecture particulièrement ludique. Ainsi, l’album fait partie de la « tétralogie du Coffre aux Âmes » (avec Formule incantatoire (DZ10), Le coffre aux âmes (DA+10001) et Quelque part ailleurs (DM16)), qui raconte l’histoire du Colcanuru – coffre magique renfermant un passage entre la dimension des Vivants et celles des Morts – sur plusieurs époques. Mais l’album est également inclus dans un diptyque avec Formule incantatoire (DZ10), les deux albums présentant les mêmes événements, mais perçus par des personnages différents (le couple Herbert/Isis dans Larmes et brouillard et le duo Marvin/Gardien dans Formule incantatoire (DZ10)). Preuve, si cela était encore nécessaire, que nos scénaristes oubapiens apprécient encore de sortir de leur zone de confort pour continuer à proposer des opus surprenants.
Côté dessin, Boulet rend une fois de plus une copie quasi-parfaite, avec un trait pleinement maîtrisé, esthétique, inventif, très lisible et parfois même spectaculaire (la scène de la libération des fantômes dans le Donjon !). Les décors sont une nouvelle fois très riches et très variés, les personnages bien typés et originaux (mention spéciale aux différents Kochaques, tous plus classes les uns que les autres), les expressions parfaitement rendues, les scènes de bagarre épiques comme jamais … Bref, du beau travail de pro !
Avec un dessin hyper classe et un équilibre quasi-parfait entre humour et tragédie, action et scènes intimistes, Larmes et brouillard se classe d’emblée parmi les Donjon les plus réussis de la série. Oui, il y a bien longtemps que la série Donjon Zénith a perdu l’insouciance et la légèreté de ses débuts et a changé de ton. Désormais, on ne rit plus seulement aux éclats ; on pleure aussi : des larmes de joie, d’amour, de chagrin ou de colère. Magistral.