Cette fable grinçante sur le monde du travail résonne un peu comme une exhortation avec son titre en anglais fort à propos, à l’heure où le « business english », au pays de Voltaire et de Baudelaire, semble en passe de contaminer les cerveaux acquis à l’esprit de la « win ». Et pour cause, le scénariste lui-même, auteur de polars, a définitivement jeté l’éponge en quittant la multinationale où il était cadre pour se consacrer pleinement à sa passion… Mais « Stop Work », c’est aussi, selon le résumé de l’éditeur, un concept inscrit au règlement des grandes entreprises permettant à tout employé d’exercer son droit de retrait s’il ne s’estime pas en sécurité…
Expression à double sens ou pas, c’est peu dire que ce récit sent le vécu, donnant une image peu glorieuse de l’homo-corporatus. Pas question ici de dresser un tableau idéalisé de la vie en entreprise, l’entreprise sait très bien le faire elle-même, sa taille étant proportionnelle à sa maîtrise du jargon de communicant et à la férocité des rapports humains. Et si Jacky Schwartzmann a déjà raconté son expérience dans son roman « Mauvais coûts », il centre ici ses attaques sur les « good practices » des services hygiène et sécurité (les QHSE), à travers le personnage de Fabrice Couturier, cadre du service achats et joli spécimen de beaufitude qu’on pourra néanmoins trouver un brin caricatural. Le problème, c’est que Couturier est de la vieille école, et son côté hâbleur passe de plus en plus mal auprès d’une direction en phase de mise aux normes globalisantes, lui dont le rêve ultime est de faire partie du « Codir ». Et pour notre fanfaron de première classe, se faire piquer le poste si convoité, malgré ses années d’ancienneté, par Mia, une jeune « executive woman » venue de l’extérieur, se révèle un affront insupportable ! Pour élaborer une contre-attaque, notre « héros » de pacotille va devoir aller jusqu’à s’allier avec le collègue syndiqué qu’il méprise…
Morgan Navarro, quant à lui, a su produire un dessin dynamique et efficace qui sert bien le propos, malgré un côté déjà-vu, mais d’un minimaliste de bon aloi. On ne tombe pas à la renverse, mais ça fonctionne, et c’est à peu près tout ce que l’on demande pour ce type de BD.
A travers cette dénonciation acerbe des pratiques productivistes sous couvert de protection des salariés (les « presqu’accidents »), tout y passe : la course à la promotion et l’hypocrisie des rapports humains qui en découle, les petites lâchetés, les coups bas et le cynisme managérial. Mais on y voit aussi une critique mordante de la novlangue du management, issue d’un prétendu « business english », souvent déformé jusqu’au ridicule. Même si vers la fin, les auteurs semblent curieusement plus indulgents avec ce crétin de Couturier — qui au final attire un semblant de sympathie face au côté inhumain de Ludivine (chef des QHSE) et Mia, sa responsable —, les seuls vrais « héros » dans cette entreprise impitoyable, beaucoup plus attachants, sont incarnés par deux « techniciens de surface », Moha le « reubeu » et Melody la « vieille trans ». Ces sans-grades, totalement oubliés de ces fameuses « good practices », en paieront d’ailleurs chèrement le prix. Bref, chacun verra bien ce qu’il veut y voir dans ce facétieux one-shot qui donnera à coup sûr matière à méditer, même si certains regretteront peut-être un côté trop caricatural des personnages et des situations, au détriment d’un réel approfondissement du sujet.