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Enfin couché ''Super Spy'' de Matt Kindt, sur lequel j'avais calé après l'avoir acheté en juillet 2019 apparemment.

C'est assez exceptionnel. C'est une sorte de roman choral où on suit, dans le désordre, le long de courts chapitres, les destinées de tueurs et d'espions anglais, espagnols, français ou américains qui se croisent en Europe pendant la deuxième guerre mondiale au gré de leurs missions respectives. Au début on a l'impression de lire, comme des nouvelles, une suite de petites mises en situation, et au bout d'un moment on comprend que tout participe d'une seule et même histoire mais qui a été montée dans le désordre. La première scène qui revient apparaît, sous un autre angle, et là on pige qu'on va suivre tout le bordel sous toutes ses facettes à la fois, et ça devient vraiment jouissif du point de vue du pur plaisir narratif.

Chaque personnage, même ceux qui apparaissent le moins, ont des motifs assez crédibles, des actions intéressantes, un background souvent assez triste et en général une mort au bout du compte soit pathétique soit grotesque, même si à l'occasion on peut avoir aussi un aspect clinique et sec. On ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre, même quand on compense à avoir le puzzle à peu près en tête, et le thème de l'espionnage est traité avec un réalisme particulièrement appréciable - sauf pour le personnage éponyme du super espion, qui permet en association avec un soldat américain créant des comics sur le front, de donner à l'ensemble une touche méta-réflexive sur le format qui est à la fois maligne et efficace, sans jamais envahir l'intrigue #1.

On parcourt la Norvège, l'Espagne, l'Allemagne, la France principalement, l'Angleterre, la Russie, à travers tous ces mini-chapitres souvent conçus avec beaucoup d'astuce sur le plan visuel. On a des cases en vue subjective çà et là, particulièrement immersive malgré le style globalement crayonné brouillon de Matt Kindt et la maquette du bouquin en faux vieux papier jaune. On a du fondu entre des figures géométriques et des dispositions symboliques des personnages. On a une utilisation de la couleur qui vient brièvement teinter de temps en temps un comics kaki / sépia, toujours avec une raison pertinente. On a une utilisation de sorte d'aquarelle par moment pour souligner le changement d'une perception. On a des cassages de ligne quand il s'agit d'évoquer les mouvements aériens ou aquatiques. La maquette du bouquin en elle-même est vraiment cool, on a la jaquette illustrée et si on veut l'enlever dessous c'est une sorte de livre de cryptogramme. Bref, même en tant qu'objet, dedans et dehors, il y a du taf.

On dirait un mélange entre du Robert Altman et du John Le Carré, quand il est à peu près inspiré. Presque de Perec aussi dans l'approche du quotidien et de la géographie de l'espace.

C'était top en tout cas. Pas forcément à lire par contre quand on a le moral en berne, puisque le ton qui domine c'est la tristesse, l'empathie avec les personnages marche très bien et j'avais la boule des fois en lisant.