Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏

Syndrome 1866
7.3
Syndrome 1866

Manga de Naoyuki Ochiai (2012)

Pardon monsieur Dostoïevski. Pardon.

C’est un de ces Seinen contemporains. Vous savez, avec un héros qui est revenu de tout, c’est-à-dire la figure houellebecquienne par excellence, mais sans l’Excellence. Alors vous avez droit à de longs monologues introspectifs pour nous relater ses tourments. Paraît que c'est plus profond ; profond comme une tombe froide. Parce qu’il est tourmenté l’animal. Ils le sont tous. Je pourrais, à ce stade, énoncer ce qui va se dire même dans mon sommeil, mais à la place, je vais synthétiser le propos de notre protagoniste : «Le monde est pourri», «Je n’arrive pas à m’insérer socialement», «La vie n’a aucun sens» ; soit rien qu’une crise d’adolescence perpétuelle qui, rapportée en noir et blanc, devrait supposément nous suggérer comme des élans de profondeur.


Le personnage principal est typiquement ce jeune homme qui, vivant en zone urbaine, se laisse gentiment crever dans sa sinistrose. J’ai le sentiment – mais mon regard est biaisé – qu’une large partie du spectre Seinen, aujourd’hui, n’a plus vocation qu’à relater des épisodes de dépression exacerbés.


La dépression et la méchanceté gratuite comme préambule à une critique sociale déjà rédigée cent fois, c’est plus une ficelle scénaristique, c’est une recette éditoriale qu’on suit ici à la lettre. Risa est un chiot qu’on maltraite à grand coups de pied et qui se relève avec des grands yeux humides. Ça devrait nous nouer le cœur. Bien sûr que ça devrait. Mais on voit tellement venir l’auteur avec ses gros sabots que ça fait rigoler. Ce qui est excessif est insignifiant et, sans l’ombre d’un doute, nous sommes ici dans l’excès tant la pureté de cette pauvre Risa – à qui Princesse Sarah n’a rien à envier – rayonne de mille feux pour nous crier à chacune de ses apparition : «Oh qu’elle est innocente !», «Oh la pauvre, elle n’a pas mérité ça» ; car soyez averti, le tire-larmes s’accrochera à vos glandes lacrymales d’une main griffue et bien mal manucurée.


Bien sûr, tout le monde est libidineux et lâche parce que, souvenez-vous, ce monde est pourri. J’ai l’impression que les auteurs de ces Seinen-Prozac ajoutent une encre bien noire à leur œuvre pour mieux forcer quelques supposées ténèbres qui envelopperaient notre civilisation. Alors, non, effectivement, tout n’est pas rose dans ce monde, et le corpus de mes mangas favoris en atteste. Il s’il y a de ces laideurs que j’affectionne tout particulièrement, mais on trouve un revers à celles-ci. Des revers parfois tapis dans ces mêmes ténèbres planantes.

Aussi, même un apôtre de ce qu’il convient d’appeler la frénésie du désespoir (ce sera le titre de ma critique de The World is Mine) vous le dira : tout n’est pas pourri. Mais le tout consiste encore savoir où braquer la focale pour avoir une vision claire du panorama. Un gros plan serré sur une situation dramatique, qui plus est exagérée à outrance, est aussitôt invalidé par un plan large qui nous dressera un portrait plus nuancé de ce que l’humanité a à nous proposer.

Ce n’est pas un discours humaniste que je vous adresse – ah ça non alors ! - mais un regard froid et dépassionné sur ce que trop de personnes, par facilité et donc, par fainéantise, vous dépeignent comme un monde horrible. Ici et là, y’a du mieux, y’a du pire, y’a des hauts, y’a des bas et, à trop vouloir ne retenir que ce qui se retrouve en bas pour mieux s’en lamenter, on finit par n’être justement fait que de bassesse.


Et vas-y que le groupe de lycéennes prostitue la passive petite Risa à même les chiottes d’un restaurant. La question de la prostitution forcée par ses camarades est autrement mieux abordée dans une œuvre comme Battle Royale et pourtant, l’affaire dure un chapitre. Quand on sait écrire, il n’y a pas lieu d’épiloguer ; l’art de la synthèse s’articule en principe le plus naturellement du monde autour de la pertinence du propos. Cela, à supposer qu’il y ait un propos.


Mais de pertinence, il n’y en a pas même une l’ombre ici. Quant à l’écriture, j’en venais à supposer que si Syndrome 1866 avait été transposé au format littéraire strictz - passant alors outre l'œuvre dont il est supposément inspiré - il y aurait été écrit « Tous pourris ! » ad nauseam sur 500 pages. Je n’insisterai jamais assez pour vous dire à quel point le misérabilisme est forcé en se donnant en plus des airs nuancés ; un peu à la manière d’une pute vérolée qui chercherait à se montrer distinguée. C’est peut-être encore ça le plus drôle.


Puis, notre héros, toujours désabusé, revenu de tout, le voilà qui s’improvise justicier. Et là, j’ai tout de suite repensé à Prophecy, ce manga infect où un redresseur de torts se sent investi de la réparation d’un monde qui n’est pas cassé. À une moindre échelle cependant. Le misérabilisme, ici, a au moins la décence de ne pas s’essayer au commentaire politique. Dieu merci, car si je m’étais esclaffé davantage, la commissure de mes lèvres aurait pu se déchirer pour mieux m’étendre un sourire glaçant d’une oreille à l’autre.


Disons-le sans s’embarrasser d’aucune nuance, c’est un Seinen franchement juvénile qui s’espère adulte. C’est du Florant Brunel dans le texte. Monsieur est contre l’injustice dans le monde et le fait savoir. Chaque inspiration qu’il prend ne vise qu’à alimenter ses lamentations indignées de déclassé social. Et c’est si mal amené. Non, pas même la mise en scène ne viendra au secours du récit, car les deux, chacun avec une pelle dans la main, s’emploieront à enterrer cette œuvre qui m’aura trop de fois fait rire à ses dépends. Notamment ce passage où Miroku, sur le mur de sa chambre, a scotché près d’une centaine de pages de notes après avoir espionné le groupe d’Hikaru. Ce n’est pas comme s’il avait un ordinateur pour y entreposer les notes. Je ris tant et tant et pourtant, je ne devrais pas. Car paraît-il que ce serait un manga sérieux. Paraît-il…


Et un meurtre en guise de Justice ? Pour quoi faire ? La maquerelle lui donne même une carte avec son numéro pour solliciter ses services. Un tour chez les flics avec ce Sésame en main et c’est réglé. Mais non, optons pour l’option Batman, ça a fait ses preuves. Avec des plans à la con comme celui-ci et une incapacité apparemment physiologique à réfléchir, on ne s’étonnera pas que le monde soit pourri tant qu’il sera peuplé de spécimens pareils.

Car c’est effectivement le plan d’assassinat le moins bien branlé de l’univers qui s’orchestre sous nos yeux amusés. Déjà, il se fait connaître de sa future victime en entrant en contact avec elle ; c’est-à-dire qu’il fait tout pour être un suspect potentiel en cas de meurtre. Il avoue même à Hikaru qu’il les espionne elle et Miko… sans raison autre que de les rendre plus vigilants pour finir avec des yakuzas au cul. Quinze mille feuilles épinglées sur son mur pour un plan pareil ? La bonne blague. L’aurait-il étranglée dans une ruelle un soir sans préparation autre que de se munir d’une paire de gants que le meurtre aurait été autrement plus réussi. Il a préféré foirer sur tous les tableaux pour conclure l’affaire en slasher salissant.


Ah, et il fait des rêves aussi. Des rêves qui tiennent de ceux qu’on retrouve enrobés de significations profondes. Enfin non. Mais dans le principe, c’est ce que nous sommes censés en retenir. Il y a, dans Syndrome 1866, comme une inadéquation flagrante entre ce qui est exprimé, et ce que l’auteur souhaiterait voir véhiculer. Le fond et la forme se sont alliés pour saboter un Seinen mort-né.

On ne comprend d’ailleurs pas trop pourquoi il a tué Risa. Lui même ne le comprend pas et l’expliquera bien mal au moment de ses premiers aveux. On devine aisément que l’auteur n’a fait cela que pour choquer et surprendre sans qu’une causalité à l’acte n’ait véritablement été réfléchie en amont. Mais quand, comme moi, le récit n’a suscité que l’hilarité depuis le début, l’indifférence fait le reste.

Les coïncidences fusent par la suite. Le vélo de Miroku est retrouvé pile le jour du meurtre, il se rend au box et là, deux enquêteurs non loin parlent de l’affaire d’assassinat devant lui.

On ne sait trop si, par la suite, l’incursion de Sudo dans le récit contribue à le ralentir ou à le dévier de sa trajectoire, mais on navigue à vue à partir de là. Lui aussi est un tueur et nous vomira sa philosophie de vie comme s’il nous récitait les Évangiles. «Gnagnagna, y’a les forts, y’a les faibles, pis c’est comme ça et pas autrement». Au moins avec Raoh, ce discours étaient suivi des actes, c’est en ce sens qu’il avait une portée véritable. Ici aussi ils ont un sens ces propos puisque les gentils sont très gentils et les méchants très méchants. Car du proxénète à la prostituée de force, du maître chanteur à la victime de chantage innocente (qui sera aussi contrainte à la prostitution tant qu’à faire), il n’y a pas de demi-mesure. Après avoir cru bifurquer un temps du côté de Prophecy, je longe cette fois les rives de Rainbow. Quand j’en viens à supposer des accointances de fond avec des œuvres pareilles, c’est précisément parce que nous frayons avec le fond : celui qu’on retrouve en dessous de tout.


Ce Flash Back de Sudo péniblement excrété, la chasse est tirée pour en revenir aux affaires courantes. Risa n’était alors pas même enterrée que Soyonama, une autre figure improbable de pureté et d’innocence injustement souillée nous parvient. C’est à croire qu’on les fabrique en série ces modèles-là.


Oui, oui, Miroku tombera successivement sur deux victimes de prostitution dans ses pérégrinations mais alors… coup sur coup. On peut, dans une moindre mesure, parler de trois victimes si on ajoute à cela sa sœur qui se marie pour protéger sa famille du besoin, forme de prostitution déguisée s’il en est. Ah, le Japon, quand certains auteurs me le décrivent d’une plume bien mal affûtée, je lui trouverais presque des airs de Pandemonium. C’est ici en tout cas que commencera cette histoire d’amour avec Echika. De quoi vous faire relativiser l’Enfer.

D’autant que Tokyo, c’est quasiment un village j’ai l’impression. Tout le monde s’y croise sans arrêt par inadvertance. Figurez-vous que Risa et Soyonama s’étaient déjà croisées et avaient sympathisé par le passé. La ville est la plus peuplée au monde à ce jour, mais vous ne pouvez apparemment pas y bousculer quelqu’un en pleine rue par accident sans tomber sur quelqu’un que vous connaissez.


Et puis les coïncidences ne s’arrêtent pas là. Le procureur implacable – figure d’antagoniste jamais vue ailleurs - alpague Miroku pour l’accabler, il est à deux doigts de le faire avouer et que voilà qui jaillit depuis une faille remplie de facilité scénaristique ? Une édition spéciale à la télé – parce qu’il y avait une télé allumée par hasard juste à côté d’eux – qui rapporte que la police aurait arrêté un suspect. Mesdames et messieurs, Naoyuki Ochiai vous présente les aventures de Gontrand Bonheur et Larry Silverstein ; un conte hallucinant où seule la chance alimente la machinerie branlante que constitue le scénario.


Echika lui tombe évidemment dans les bras après qu’il lui ait avoué son double homicide. Pauvre petite chose, c’est évidemment un câlin dont il a besoin. Miroku, c’est une victime de la société comprenez-vous. Quelle plaie.

Et qu’on ne m’invoque pas la jurisprudence Bonne Nuit Punpun ; la qualité de l’écriture des personnages – sans parler du reste – est simplement incomparable. Il suffit de s’y essayer pour le constater en deux regards seulement.


Echieka, qui a dû fréquenter Miroku l’équivalent de cinq à six heures dans toute sa vie, lui jure qu’elle l’attendra si la police lui tombe dessus. La voilà dévouée corps et âme à un garçon dont elle ne sait que peu de choses et, dont le peu de choses en question implique des inaptitudes sociales flagrantes et un double homicide dont une des victimes était une amie chère. C’est connu, les femmes adorent les asociaux aux propensions homicidaires.

Eh ! Au fait ! Sudo revient ! D’instinct (c’est son explication officielle), il devine que Miroku est responsable du double homicide dont tout le monde parle. On ne sait d’ailleurs pas vraiment pourquoi il est revenu au Japon si ce n’est pour venir lui dire ça. Miroku lui pose pourtant la question, mais Sudo répond à côté. Un peu comme forcé par l’auteur à dévier la conversation pour boucher les quelques kilomètres cube de failles scénaristiques béantes. Oh, et vous ai-je dit que PAR INADVERTANCE, il l’avait précédemment croisé dans la rue avec Echieka ? Oui, décidément, Tokyo est un village.


Est-ce qu’il y a au moins le dessin pour couvrir la misère ? Eh bien non. Tout Seinen peut-il être, Syndrome 1866 est, sur le plan graphique, un Yotsuba& approfondi. Ce qui n’est pas pour le grandir.


D’ailleurs, pourquoi «Syndrome 1866» ? Eh bien, car il s’agirait (notez le conditionnel) d’une adaptation trèèèèès libre de Crime et Châtiment ; l’ouvrage ayant alors été rédigé en 1866.

Sans préambule et sans même avoir à me justifier, je me permets tout naturellement de corriger et même de griffonner la copie ; Syndrome 1866 est à Crime et Châtiment ce que Les Fleurs du Mal était à l’œuvre éponyme de Baudelaire. Les personnages, l’ambiance, l’intrigue : rien ne va. Naoyuki OCHIAI a retenu le double homicide et la copine du protagoniste qui se prostitue, mais sans rien de tangible ou même de vaguement concret pour cimenter tous les éléments de l’intrigue entre eux. L’histoire, alors, rien a rien à voir.


Et quand on sait comment se conclut Crime et Châtiment, on rechigne à finir l’œuvre présente. De valeur ajoutée, il n’y en a pas eu. Pas même une once. Mais on sait en revanche ce qu’on a perdu au change. Et puis, ce sourire niais depuis la prison alors que la pureté de leur amour reste étincelante et vierge de toute nouvelle souillure éventuelle, ça contraste un peu avec le séjour en Sibérie que connaîtra Rodion à la fin de l'œuvre originelle.


Messieurs les Japonais, si vous pouviez arrêter de saloper la littérature européenne, je vous en serais reconnaissant. Et je crois que je ne serais pas le seul. Que je sache, vous avez chez vous quelques trésors de littérature jamais traduits en nos contrées et dont une bribe seulement aura été adaptée en manga. Piochez dans le réservoir d’œuvres qui vous tend les bras ; y’a matière à faire. Et à bien faire de préférence.

Josselin-B
2
Écrit par

Créée

le 30 sept. 2022

Critique lue 447 fois

8 j'aime

Josselin Bigaut

Écrit par

Critique lue 447 fois

8

D'autres avis sur Syndrome 1866

Syndrome 1866
VictorManiglier
8

Critique de Syndrome 1866 par VictorManiglier

un manga très sombre qui montre vraiment une facette pas souvent abordé dans un manga : meurtre,desespoir, déchéance....On suit le repliement du héros sur lui même, attiré par un dangereux criminel...

le 12 nov. 2012

4 j'aime

Syndrome 1866
Obdrow
9

L'humanité la plus sombre peut se révéler si belle

Je vais être honnête, après des années sans lire, j'ai décidé de reprendre la lecture. Mon premier roman fut "la peau froide". A sa fin, je suis reparti sans problème en souhaitant me remettre...

le 30 oct. 2019

2 j'aime

Du même critique

Hunter x Hunter
Josselin-B
10

Éructations fanatiques

Nous étions le treize avril de l'an de grâce deux-mille-six, j'avais treize ans. Je venais de les avoir à dire vrai ; c'était mon anniversaire. Jamais trop aimé les anniversaires, il faut dire que je...

le 20 juil. 2020

62 j'aime

170

L'Attaque des Titans
Josselin-B
3

L'arnaque des gitans

Ça nous a sauté à la gueule un jour de printemps 2013. Il y a sept ans de ça déjà (et même plus puisque les années continuent de s'écouler implacablement). Du bruit, ça en a fait. Plein, même. Je...

le 8 avr. 2020

35 j'aime

60

Monster
Josselin-B
10

Critique sans titre pour un Monstre sans nom

Il s'agit là du premier dix que je suis amené à délivrer pour une des œuvres que je critique. Et je n'ai pas eu à réfléchir longuement avant d'attribuer pareille note ; sans l'ombre d'une hésitation...

le 17 janv. 2020

34 j'aime

14