Symétrique du premier album de la série – les deux premiers tiers dans l’île, le dernier à Londres –, Tempête boite dans sa première moitié, avec des préparatifs bien longuets, et prend du rythme dans la seconde, qui voit enfin un personnage évoluer, les autres restant à leur place.
Dans l’épisode précédent, Peter découvrait ses futurs amis. Dans celui-ci, il poursuit son initiation à l’amour et à la mort, qui se rapprochent de lui – avec Lys Tigré d’un côté, Pan et Kundal de l’autre. C’est une adolescence qui fait son chemin. Le héros devient héros.
Je me demanderai décidément toujours si Loisel a délibérément fait de son Peter une version altérée d’Ulysse : ce môme a échappé aux sirènes, (se) raconte des histoires et navigue (enfin dans ce troisième épisode), mais il lui manque encore la ruse. En même temps, le parallèle ne saute pas aux yeux. J’ai mis plusieurs lectures à le saisir. Et contrairement à ce qui m’arrive souvent quand un mythe se surajoute à un autre (cf. Médée Kali, de Laurent Gaudé), je n’ai pas trouvé cela inutile ou lourd, au contraire ; Loisel est très fort pour susciter tout un jeu d’échos dans son Peter Pan.
Dans les dernières pages intervient un autre mythe, qui n’est pas littéraire – sauf si l’on considère Jack l’Éventreur comme un avatar du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, ce qui me paraît tout à fait défendable. De retour à Londres, où il venait emprunter la trousse de médecin de Kundal, Peter en profite pour faire un crochet (!) par chez sa mère. Une fois sur le seuil, « J’ai peur », dit-il à Clochette – premier parallèle avec la scène de l’Opikanoba du deuxième volume. Il pousse la porte pour trouver sa mère à l’étage, au lit, une bouteille à la main et un docteur prénommé Jack entre les cuisses. Grosse colère de la daronne…
Le reste est dessiné depuis l’extérieur de la maison, un zoom puis contre-zoom en une planche, où les personnages n’existent plus que par les dialogues. « Je ne t’aime pas ! Tu m’entends ? Je ne t’aime pas ! », hurle la mère – autre parallèle avec l’Opikanoba : « Tu ne m’as jamais aimé ! », criait Peter à sa castratrice fantasmée avant de répéter « Je te hais ! ». À Londres, nouvelle série de hurlements : « N… Non ! Non ! Jack ! Jack ! », puis le silence. Ces derniers mots sont-ils un appel à l’aide ou à la clémence ? Impossible de le savoir.
Peter ressort sans un mot, reprend sa trousse de médecin et s’en va, les yeux écarquillés ; puis Jack ressort sans un mot, reprend sa trousse de médecin et s’en va, les yeux écarquillés. L’avant-dernière case du volume montre le cadavre de la mère éventrée, et un couteau sur le coin d’une table.
On ne saura pas qui de Jack ou de Peter l’a tuée. Seulement, dans l’Opikanoba, Peter disait à sa mère « Je vais te tuer ! » et quelques cases plus tard « Je vais t’étriper […] ! Regarde, pourriture ! Tu m’ feras plus mal ! » tout en l’éventrant au couteau.