Si je n'étais pas aussi fainéant, je listerais volontiers tous ces mangas que j'écope et qui n'en finissent pas d'être pareils les uns aux autres au point où je n'arrive parfois plus à les distinguer. Un commentaire, accepté du plus grand nombre comme raciste, suppose que les Japonais, comme les populations est-asiatiques, se ressemblent tous. Sans prendre parti, je reconnaîtrais toutefois que la même remarque pourrait désigner pléthore de leurs créations manga.
Fainéant, je ne le suis finalement pas tant que ça. En réalité, si. Et plus encore que je ne le devrais. Je me console toutefois en me disant que, comparé à ce à quoi aboutit l'élan créatif de bien des mangakas, il me reste de la marge d'ici à ce que je ne devienne l'expression même de la paresse intellectuelle. Car dans le domaine, la concurrence y est rude. Qu'ils se ruinent la santé à raison de cinquante heures par semaines sur leurs planches n'y change rien ; car si l'on travaille un matériau pourri, le labeur exercé à même ce qu'il constitue ne peut être que vain et ce, quand bien même ledit labeur se voudrait conséquent.


Il s'en trouvera - il s'en trouve toujours - quelques olibrius pour s'insurger à peine l'introduction brossée. Tout ce beau monde criera d'entrée de jeu à l'exagération. Ça se pourrait. L'auteur de ces lignes est coutumier du fait. Toujours à dessein cependant. Car l'exagération ici ne peut s'appréhender que comme l'écho de celle qui aura caractérisé «l'audace» créatrice de son auteur.
Parce que les punks à vilaine bobine qui s'en vont commettre rapines et massacres dans le désert dès que se déflorent les premières pages, ça n'est pas exagérer déjà ? Qui serait assez mauvaise langue à ce stade pour seulement braver les interdits et se permettre de mentionner - ne serait-ce que fugacement - le titre Hokuto no Ken ? Qui ? Peut-être moi. Certainement à vrai dire. Preuve en est faite sous vos yeux.
Trois pages, il s'en sera fallu de trois pages d'ici à ce qu'un sentiment de déjà-vu, largement motivé par des faits accablants, ne vienne me secouer l'occiput. Ce qui, je ne le cacherai pas, est déjà très mauvais signe.


«Foutaise !», s'écrieront assurément ceux-là qui s'étaient plus tôt indignés. Les plus téméraires d'entre eux compléteront même leur gronderie avec quelques arguments ; avec l'un d'eux en particulier : «Un personnage principal éliminant des criminels dans le désert n'a pas systématiquement à se référer à Kenshirô». Chose vraie au demeurant. D'autant plus vraie que la réalité, par la plume de Masatoshi Usune, en aura fait la démonstration avec l'exquis Sunabozu ; la norme mère pour ce qui est du mercenariat en zone aride. Et c'est précisément parce que j'ai deux comparatifs à ma disposition que je puis dire que The Arms Peddler tient bien plus de Hokutô no Ken qu'il ne le pourrait d'un Sunabozu, manga intelligemment écrit s'il en est.
Ici, ça fait «Pan», ça fait «Boom» et même «Slash», mais ça ne souffle guère de bruits intelligibles. Pas à moins que les borborygmes péniblement énoncés par les personnages et que l'on tient pour des dialogues n'aient trouvé prise sur certains.
Le post-apocalyptique intelligent dans le manga, ça existe. Et parce que ça existe, je puis dire que the Arms Peddler n'en est pas et qu'il en est loin.


Nous parlons ici d'une composition manga dont le personnage se veut une femelle placide avec une cape et une énorme épée dans le dos qui, bien assez tôt dans l'intrigue, se piquera d'affection pour un gosse qu'elle s'empressera de traîner derrière elle. «Et alors ?» demanderont d'un air de défi les moins érudits tandis que ceux qui savent préféreront s'en remettre à un silence gêné. Solution de sagesse s'il en est. Gêné, il y a de quoi l'être quand, tout penaud, l'on comprend que The Arms Peddler se veut le rejeton bâtard occasionné par une sinistre union entre Hokutô no Ken et Claymore. Sans savoir dire si le mariage se veut contre-nature, je constate en tout cas que le fruit qui en résulte est bien insipide.


Des mélanges - et pas des bons - The Arms Peddler en est truffé, à commencer par son univers. Kyoichi Nanatsuki se sera essayé à conjuguer le médieval-fantastique au far-west. L'idée, très honnêtement, a tout pour plaire à condition, bien entendu, de ne pas s'en tenir au strict volet esthétique. Ce qui, évidemment, est le cas ici.
La forme sans le fond, le cosmétique sans le visage ; il n'est question que de maquiller la banalité d'une peau neuve afin de lui donner des airs nouveaux. Si une mystification aussi sommaire saura perdre les moins vigilants, le manque d'originalité dans l'univers dépeint ici se décèle d'un coup d'œil et se regrette à chaque chapitre.


Graphiquement parlant, les apparats sont toutefois correctement débardés et il ne se trouvera que des fines-bouches pour en vouloir davantage. Le dessin peut plaire ; il a en tout cas tous les arguments pour. Sans avoir été marqué par le crayonné un brin atypique de son auteur, je lui reconnais une qualité certaine en lui attribuant par instants une proximité avec ce qu'aura pu griffer Sui Ishida du temps de Tokyo Ghoul.


Garami ne combat pas des antagonistes mais des méchants. Méchants, ils le sont de fait car la narration, avec toute la subtilité qui la caractérise, va jusqu'à afficher leurs vices à même leur gueule - des fois que le lecteur ait besoin qu'on lui flèche le parcours du récit. C'est fatigant d'être pris pour un con par un auteur. Décevant aussi. Mais ça, une fois que l'on en a l'habitude, on en prend le pli ; je parle d'expérience.
Ce manichéisme mal assumé l'est d'autant moins que nous renouons ici avec un de ces protagonistes qui se donnent des airs - et seulement des airs - d'anti-héros d'opérette, occupé à jouer les impartiaux d'un air de dire «La Justice ? Ah, mon bon monsieur, je ne mange pas de ce pain-là» pour au final nous rejouer l'exacte même partition de tous les héros de basse fiction, à venir en aide aux opprimés entre autres figurants inutiles. Mais toujours avec ces airs faussement ténébreux ; le manichéisme sans l'aimer d'une Tsundere de la morale.


The Arms Peddler ne va pas assez loin et se refuse à franchir le Rubicon. Tout ce que l'œuvre comprend de sombre ne l'est qu'en demi-teinte. C'est le nouvel Angyo Onshi (là aussi dessiné par un Coréen) qui resurgit ; les apparats des ténèbres tapissés sur chaque planche pour dissimuler la mièvrerie qui, si elle se veut discrète, reste cependant omniprésente. Vous aurez beau mettre des zombies et des monstres partout mêlés à une plèbe hargneuse à l'allure patibulaire, tout cela ne fera qu'ajouter du ridicule à l'infâme. Tremper ses orteils dans le Rubicon en se jurant de l'avoir traversé, voilà qui tient de la publicité la plus foncièrement mensongère. On ne promet pas de l'épicé quand on sert de l'aseptisé, c'est une question d'intégrité éditoriale.

Josselin-B
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le 20 févr. 2021

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Josselin Bigaut

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