Comment The Breaker me les a brisées

Finalement, les Shônens, ça n'est pas fait pour moi. Ça n'est plus fait pour moi. Tout produits usinés que sont devenues ces créations, elles semblent toutefois avoir été taillées sur mesure et à la mesure de la médiocrité ambiante qui sévit en ce bas monde. Sans originalité, sans rien pour se démarquer, sans même la moindre prise d'initiative, le Shônen est aujourd'hui un périple sans aventure. Tout y est maintenant si convenu que j'ai fini par me croire doté de dons de prescience à sans cesse prévoir ce qui s'y passe. Les rares fois où je me trompe quant à mes prévisions, ce n'est que lorsque l'auteur accomplit pire forfait que celui attendu de sa part.
Le mangaka qui aujourd'hui s'abandonne au Shônen n'a pas d'ailes pour s'élever, juste une pelle pour creuser toujours plus bas que terre.


Peut-être The Breaker aura été le coup de pelle de trop. Il n'est ni plus ni moins symptomatique que la plupart des ses contemporains, il est juste celui de trop, celui que j'ai lu alors que mon taux de saturation avait déjà dépassé - et de loin - les limites du raisonnable. Pire que mauvais, il est quelconque. Comment ne pas s'exaspérer à la lecture de mangas qui, sans cesse, s'obstinent à exister sans rien créer de nouveau, sans même chercher à innover où que ce soit ? Quelque soit le support concerné, quand l'œuvre qu'on nous transmet est toujours la même, elle lasse. Ce n'est pas être élitiste ou abuser de la critique que de le dire, c'est simplement s'adonner à une réaction biologique suggérée par toute cervelle fonctionnelle. Mangez le même plat à chaque repas et en moins d'un an, ce même met goûtu que vous aurez appris à aimer, vous vous surprendrez à le régurgiter chaque bouchée.


Nous entamons alors l'affaire - la besogne devrais-je dire - avec ce qui se présente comme le personnage principal mais qui, tout compte fait, ne le sera pas tellement. Il est en tout cas ce personnage typique de victime de lycée. Car mes braves enfants, sachez qu'en milieu scolaire, quand il est question d'un Shônen, le personnage principal ne saurait être qu'une victime ou un loubard. Le juste milieu n'est simplement pas permis. Souhaité, il l'est, mais prohibé au point où personne n'ose braver cet interdit éditorial.
Tous ces auteurs auront été étudiants ; ne pourraient-ils pas au moins s'inspirer de leur vie pour en retirer des personnages crédibles ? Une fois, ne serait-ce que pour s'essayer à la chose. Les lecteurs en sont demandeurs. Mais... sur l'improbable marché du Shônen, l'offre conditionne la demande qui, elle, se soumet bien sagement à ses désidératas honteux.
J'aurais - été - au gré de bien des critiques, violent à l'endroit des lecteurs de Shônens qui se contentent de ce qu'on leur serve et ne sanctionnent jamais la médiocrité qui ne demande pourtant que ça. Excusez-moi de les mépriser, mais là encore, cette saine réaction tient à un conditionnement biologique. Je ne peux tout simplement pas faire semblant de croire que des gens qui acceptent de manger de la merde puissent avoir bonne haleine. C'est au-dessus de mes forces. Les Shônens étaient autrefois fait d'encre, de papier et de passion. Ils sont aujourd'hui moulés et sculptés d'après les déjections intestinales de leurs auteurs ; des parvenus pour qui la solde du labeur importe plus que le labeur en lui-même.


Que The Breaker nous parvienne de Corée - comme d'autres catastrophes issues de là-bas - ne change rien à l'affaire. Tous les codes Shônen y sont ici resituées sans la moindre variation ; le quintet dans l'ordre avec comme seule récompense une lecture insupportable.
Sunsengnim/Han Chun-Woo sera d'abord cet insupportable trublion dont on ne sait trop bien qui il cherche à faire rire avec des bouffonneries déjà trop vieilles de plusieurs siècles. Cela ne durera qu'un temps, le temps qu'il ne commence la bagarre et ne soit plus que ce personnage parfait, puissant, invincible et bien évidemment au-dessus de tout.


Professeur en premier lieu - le temps que l'intrigue n'opte pour une direction à prendre et ne s'y perde enfin - il aura été ce temps là un Onizuka au rabais sans le charme et l'humour qui puisse caractériser le personnage. Autant dire un gros con ultra-violent. The Breaker sera d'ailleurs si proche de GTO qu'il en deviendra... fusionnel. Fusionnel, c'est bien jolie périphrase pour me retenir d'écrire «plagiat».
Le manga, après quelques chapitres, nous sanctionnera d'une histoire où un élève cherchera à se suicider en sautant du toit de son école. De là, son professeur, après l'en avoir empêché, chutera avec lui par accident, n'amortissant leur chute qu'en s'écrasant sur le toit de la voiture du vice-principal. Toute ressemblance avec une œuvre passée est évidemment fortuite. Fortuite en ce sens où l'auteur n'espérait vraisemblablement pas se faire pincer pour sa contrefaçon éhontée.
Quand, en un chapitre, j'ai le mot «plagiat» au bout du stylo, c'est que cela ne présume rien de bon. Un plagiat en appelant un autre - car quitte à prendre un sou, autant s'emparer d'un billet - le maître mettra ici son élève au défi sauter d'un pont la nuit, ce qui n'est pas non plus sans rappeler une certaine scène de GTO. Il y a clairement motif à procès.


Du reste, les dessins restent particulièrement soignés, on peine à croire que l'on lise un Shônen. Ça se rapproche de Tokyo Ghoul par instants sans jamais non plus y aboutir. C'est en tout cas plaisant à lire, exception faite des grimaces supposées humoristiques de Han-Chun Woo dont on devine qu'elles sont omniprésentes pour ne pas avoir à dessiner des planches sérieuses nécessitant elle, un investissement autrement plus conséquent. La manœuvre m'aura d'ailleurs rappelé les débuts de Sun-Ken Rock. C'est à croire qu'il s'agirait d'une technique éditoriale typiquement coréenne. La parenté avec Sun-Ken Rock est d'autant plus facile à établir que les visages des personnages se ressemblent, le trait ici étant cependant bien moins élaboré que celui de Boichi.


Et comme pour Sun-Ken Rock, le licencieux déborde - raisonnablement cette fois, Shônen oblige - sans compter les bastons lunaires et sans talent de mise en scène s'enchevêtrent au fil du récit jusqu'à nous étouffer. Quand un personnage arrive à briser une boule de billard simplement en refermant son poing et que les attaques de Ki sont de la partie sans que rien dans l'univers dépeint ne prédisposait à l'apparition soudaine d'une énergie irréelle, c'est à cet instant que le critique que je suis impose son droit de veto. Le droit du véto à euthanasier la bête.


Bien sûr, Park Jin Hwan et Jeon Keuk-Jin sont trop intègres pour n'être que les artisans d'un seul plagiat. Ayant d'abord «emprunté» généreusement dans le répertoire de Tohru Fujisawa, ils passeront sans vergogne de GTO à Coq de Combat alors que la victime apprend ici un art martial auprès de son criminel de maître. Voilà un manga sans imagination comme j'aime les vomir. Il va évidemment de soi que tous ces enseignements ici ne serviront aucune finalité concrète autre que celle de prolonger l'œuvre en une succession de combats aussi soporifiques que rébarbatifs.


Une mue très crédible pour le personnage principal alors que Shioon est initialement infoutu de courir le cent mètres en moins de vingt-quatre secondes et tout aussi incapable de faire sept pompes. Malgré ces MODESTES carences physiques, il deviendra - par le triomphe de la volonté - un bourreau d'effort et, en un rien de temps, surpassera même les gaillards entraînés depuis bien plus longtemps que lui. Gaillards contre lesquels il ne se battra jamais, servant finalement de faire-valoir et de valet à son maître à qui revient la part-belle de l'exposition.
Je n'ai décidément pas compris l'intérêt du personnage de Shioon au regard de l'histoire dans laquelle il s'est impliqué et dont il n'aura été qu'une gêne. Qu'on apprenne qu'il ne pourra plus jamais utiliser les arts-martiaux en fin de partie nous en touchera finalement une sans remuer l'autre dans la mesure où il n'en a jamais fait un usage pertinent. Et je gage que la suite du manga nous démontrera de toute manière le contraire sans l'avoir lu. Je vous l'ai dit, à force de lire des Shônens, j'ai des dons de prescience.


Se seront succédés des antagonistes sans charisme qui sont autant d'obstacles dérisoires sur le parcours de l'invincible Han-Chun Woo. On ne lit pas leurs combats, on attend simplement qu'ils se fassent dérouiller en enfilant les pages dix par dix afin de réduire la durée du calvaire. Vous ne retrouverez pas beaucoup d'intensité derrière ces combats. Comment de toute manière ne pas se désintéresser d'affrontements dont les deux partis sont composés de personnages plats et dont le motif de la rixe ne repose sur pas grand chose si ce n'est rien ?


The Breaker aura au moins eu le mérite de savoir où s'arrêter dans la mesure où la publication de dix volumes demeura... raisonnable bien que trop longue pour ce qui y était rapporté en terme d'intrigue. Intrigue dont les grandes lignes sont encore pompées - au moins dans leur agencement - sur celles de Sun-Ken Rock. Si on peut parler d'une intrigue.
Dix volumes auxquels on raccroche une suite... que je ne lirai pas. Quand on a des choses à dire sur son œuvre, on la continue ; on n'occasionne pas une rupture artificielle entre deux séries qui sont en réalité la même. Je ne comprendrai jamais cette pratique éditoriale qui est d'une connerie insondable bien à la mesure de ses auteurs.


Shioon deviendra chef de clan sans raison valable. La fin s'étend alors vers une ouverture que je ne prolongerai pour rien au monde.
The Breaker achevé, j'aurais alors pour seule satisfaction d'avoir ajouté une perte de temps supplémentaire à mon actif. J'en fais collection à force. Un Shônen aujourd'hui, ça n'est déjà pas la panacée universelle, mais les productions coréennes dans leur ensemble trouvent encore le moyen de faire pire. Une école du genre qui n'a rien à enseigner et tout à apprendre, se contentant de faire du sensationnel et du sensationnel seul sans que toutefois sensations ne soit ressenties par le lecteur. Donner forme au vide et l'agiter le temps de faire fortune, voilà pour l'intégrité éditoriale du mangaka-Shônen aujourd'hui. Qui sème l'insignifiance ne récolte que le mépris ; ma critique ne sera finalement que la juste moisson d'auteurs n'ayant semé que trop abondamment.

Josselin-B
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le 30 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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