Joe Sacco raconte sa relation avec Neven, le premier homme qui l'a guidé dans le Sarajevo d'après-guerre en 1995. Un ancien sniper serbe au sein de l'armée bosniaque, petit et râblé, viriliste, qui ne se cache pas d'extorquer de l'argent à Sacco en échange d'informations, de plans, etc... L'intérêt du livre est qu'on se demande si tout ce que raconte Neven est vrai (Ses virées dans le Milieu marseillais, puis angélien, la bataille de tanks dans laquelle il prétend avoir joué un rôle décisif, son avis sur tel ou tel seigneur de la guerre).
Derrière ce fil rouge, qui repose sur un va-et-vient entre le passé (les années 1980-1990) et le présent (2001, le livre a été édité en 2005 en France), l'enquête de Sacco se concentre sur les déboires du pouvoir bosniaque durant le siège de Sarajevo. En particulier sur la manière dont le président, Izetbegovic, faute d'une armée solide à opposer aux troupes serbes, dut autoriser des groupes paramilitaires, tenues par des chefs que le récit prend le temps d'individualiser : Ismet Bajramovic/Celo ; Jusuf Prazina/Juka ; Musan Topalovic/Caco ; Ramiz Delalic/Celo. La fin du livre, notamment, explique les difficultés que le gouvernement eut à mettre hors-jeu ces chefs, charismatiques dans les médias locaux, qui étaient devenus de vrais petits seigneurs de la guerre.
Pour cela, Sacco se base sur des témoignages plus fiable que ceux de son fixer : le chef des services secrets, Alibabic, et la journaliste de Dani, journal-référence, Selimbovic. Et tout de suite, son récit devient plus intéressant.
Car il ne faut pas vous attendre à un récit détaillé et synthétique de la guerre serbo-bosniaque ici. Sacco rapporte un certain nombre d'anecdotes marquantes qui lui ont été rapportées, recrée l'ambiance des bars en terrasse et des rades enfumés de Sarajevo, mais si vous êtes ici venu chercher plus que des impressions, vous en serez pour vos frais. L'ensemble reste très impressionniste.
A noter, comme toujours chez Sacco, la volonté de se mettre en scène avec une forme d'ambiguïté : mi-pigeon volontaire, mi-enquêteur, son amitié avec Neven est entre le jeu de dupe, la condescendance et une forme d'amitié véritable. L'auteur se décrit comme un spectateur destiné à repartir, dont les sentiments sont bon marchés.
The fixer n'est pas mon livre de Joe Sacco préféré, sans doute parce qu'il se perd un peu dans l'anecdotique et ne se centre pas suffisamment sur un sujet précis. Il délivre des impressions, une atmosphère et se retranche derrière un "peut-on faire confiance aux apparences ?" sceptique mais un peu facile à mon sens. On voit des gens parler de la richesse culturelle des Balkans, mais on aurait aimé la voir davantage, ou sentir davantage que par des récits rapportés les stigmates de la guerre.