Découvert au détour d'un DoggyBags – où il illustrait la convocation vengeresse d'un golem vaudou en Haïti – Baptiste Pagani se voit offrir par le crew du Label 619 un album pour lui tout seul, scénario et dessin. Il en profite pour y partager sa passion du
cinéma d'action de Hong-Kong,
et nous délivre le long parcours erratique de Jin Ha, jeune femme analphabète des campagnes au kung-fu affûté, qui rêve de gloire celluloïd et court les studios de cinéma pour tenter de décrocher une histoire à la mesure de ses espoirs.
Le scénario, chronologique, ne s'embarrasse ni de grands effets ni de digression : l'on y suit linéairement le parcours de la petite héroïne au fil d'une carrière qui s'emballe sur un coup de chance, l'on y avance au fil des films qui s'enchaînent, et la narration, fluide, ne se heurte qu'aux nœuds d'une intrigue qui découlent des propres choix de la jeune cascadeuse, de ses propres erreurs, de ses propres faiblesses. Ainsi, derrière la mécanique des productions de l'époque, plus que de carrière et de kung-fu, c'est d'acceptation de soi qu'il est question, de fierté déplacée, piégée, où la jeune femme ne peut reconnaître son illettrisme, faisant semblant d'avoir lu scénarii et contrats, et se laissant ainsi abuser sans même l'espoir d'une issue. Rudement bien ficelé, à la fois
profondément humain et intensément abreuvé de culture cinématographique asiatique,
The Golden Path est un petit bijou alternatif d'Histoire du divertissement sous la petite histoire de son héroïne malheureuse.
L'illustration, le découpage en tous cas, joue avec merveille de l'ellipse pour traduire la fluidité des années : à chaque page les plans scopes d'un nouveau film viennent mettre en contrepoint les confessions de Jin Ha. Le trait de Baptiste Pagani a quelque chose de brouillon, de hâté, mais condensé dans l'ensemble, il vient finalement traduire
l'impermanence et l'appétit indéfini de son héroïne.
Les couleurs soulignent l'époque racontée, vivace, affamée, et les quelques affiches de films qui clôturent ou ouvrent les différents chapitres apportent le contraste lisse entre le rêve vendu au quidam et la réalité amère de celles et ceux qui triment pour faire vivre l'industrie.
Si The Golden Path n'est pas aussi puissant et profond que certains chefs-d'œuvre du Label 619, la qualité, comme d'habitude, est au rendez-vous. Dense et épais, imbibé de culture hongkongaise et d'un
esprit de liberté et d'émancipation surprenant,
l'ouvrage dépayse et instruit, dans la lignée des exigences de la maison, et l'on y retrouve même ces encarts culturels qui ramenaient chaque fois les pieds sur terre aux lecteurs voraces de Doggy Bags. Bref, dans l'esprit, comme une continuité du projet, il ne manque à The Golden Path que l'horreur ou la sorcellerie pour rejoindre l'écurie. L'objectif semble atteint en tous les cas : à la fermeture du volume, l'envie d'explorer la liste des films proposés en dernière page est puissante.