Sans surprise, j'ai découvert "Go-toboun no Hanayome" aujourd'hui imposé sous le titre anglais assez raté The Quintessential quintuplets sous la forme d'une première saison en animé de 12 épisodes, et j'ai été sous le charme. Puis, j'ai lu le manga en intégralité sous forme de scans pour trois raisons : 1) ne pas prendre le risque de me faire gâcher la fin en lisant des commentaires sur le net, 2) ne pas m'imposer une patience au suspense de plusieurs années, 3) ne pas me ruiner en me lançant dans toutes les séries qui peuvent m'intéresser.
J'avais lu en 2019 une bonne moitié du manga, un quart en français, un quart en anglais, et cette fois je l'ai repris dans son intégralité et en français, en deux jours de lecture.
Le scénario fait songer à la série humoristique en cours We never learn, dans la mesure où nous avons un lycéen qui devient le professeur particulier d'un harem de filles de son âge et de son établissement. Uesugi Fûtaro doit donner cours à cinq sœurs jumelles monozygotes qui sont très kawai et ont des seins plantureux. Les cinq filles vont représenter des caractères différents et se distinguent par des petits signes vestimentaires. Le héros a aussi une petite sœur irrésistible. Toutefois, la petite sœur Raiha ne fait qu'amorcer le cliché japonais la relation frère-sœur trop fusionnelle. On ne va pas avoir un humour douteux et lourd sur le sujet. Raiha s'intéresse à son grand frère et veut qu'il réussisse dans sa vie et si Raiha est manipulatrice et utilise sa séduction c'est en restant parfaitement à sa place. Je ne peux pas dire "à sa place d'enfant", car elle fait la cuisine et a des interventions matures, mais elle s'efface devant les histoires de son frère. Et on le voit, c'est le côté harem qui commence à être désamorcé dans ses clichés les plus prévisibles. Tout au long de ce récit, il va bien y avoir quelques interventions féminines extérieures, mais il ne va pas se développer un harem impliquant d'autres élèves, une enseignante immature comme dans We never learn, rien de tout ça. Nous avons un héros et cinq sœurs : on reste bien concentrés sur le moteur de l'histoire. Par ailleurs, malgré les seins plantureux, peau ronde tendue et parfois comme huilée, le ecchi ne va pas s'imposer et le fan service ne sera pas envahissant, il va même en diminuant au fur et à mesure de l'histoire. Et les scènes de fan service peuvent être parfaitement pertinentes, toute en retenue, coquines et drôles. C'est le cas d'une scène où le héros se retrouve en fâcheuse posture avec la sœur qui lui est au départ le plus hostile. Accusé par celle-ci d'agression, le héros se retrouve au cœur d'un tribunal mené par quatre des cinq filles, et ça se déroule de manière malicieuse et sans pesanteur.
Par ailleurs, la différence avec We never learn s'impose rapidement. Ici, nous ne sommes pas dans un gag manga : l'auteur s'intéresse à son histoire et au développement psychologique de tous les personnages principaux (qui sont nombreux du coup). Nous sommes beaucoup plus dans les scènes qui font sourire par ce qu'elles révèlent des profondeurs intimes des personnages. Originalité de plus, malgré le profil de harem, le héros masculin n'est pas préoccupé par le fait d'avoir des relations sexuelles, ni même par le fait d'avoir un grand amour. Lui ce qu'il aime, c'est étudier. Il va découvrir avec ses filles qu'il y a d'autres choses importantes de la vie, mais cela va être essentiellement sur le mode du dévouement et de l'amitié, pas même sur le mode de l'amour pour l'une ou l'autre fille ou plusieurs filles à la fois. Ce sont les cinq filles qui sont préoccupées par l'amour, pas lui. Cela permet d'avoir une histoire différente des romances habituelles et quelque chose aussi de plus intéressant, même si en contrepartie on reste dans l'intrigue amoureuse pour adolescents où il ne se passe pas grand-chose. Mais je préfère l'histoire posée ainsi que les mangas du genre Rent a girlfriend ou Cuckoo's fiancée et d'autres nombreux encore où les héros ont des fantasmes sexuels avec plein d'aventures plus obscènes les unes que les autres et se retiennent tout le temps de passer à l'acte, mangas de défoulement adolescent sans intérêt à mes yeux.
Toutefois, il y a un autre manga qui sert de modèle à "Go-toboun no Hanayome" et c'est Nisekoi. Dans Nisekoi, le héros lycéen est partagé en plusieurs filles et il doit s'interroger sur la vérité de ses sentiments. Mais le lien entre les deux séries va plus loin. Dans "Go-toboun no Hanayome", nous apprenons dès le début que le héros va épouser une des quintuplées et après un certain temps nous apprenons qu'il a un secret d'enfance fort comparable à celui du héros de Nisekoi. Uesugi Futaro conserve précieusement une photo de lui et d'un amour d'enfance à laquelle il a fait une promesse, et bien avant lui nous comprenons qu'il s'agit d'une des quintuplées. Un suspense est installé. Quelle était la quintuplée qu'il a rencontrée dans le passé ? Sera-ce celle qu'il finira par épouser ? Et, dans le passé, n'a-t-il pas cru ne rencontrer qu'une seule quintuplée, alors que l'une pouvait se faire passer pour l'autre, et ainsi de suite ?
Dans Nisekoi, le héros a fait une promesse à un amour d'enfance, promesse dont l'espoir de réalisation est entretenu par le fait qu'il possède une clef et que la fille de sa jeunesse a dû conserver le cadenas qui correspond à cette clef, sauf que le récit aura ses propres complications. Mais même par rapport à Nisekoi, "Go-toboun no Hanayome" fait moins gag manga et opte pour une réflexion plus mature sur le développement de la psychologie des personnages.
Un aspect passionnant de l'histoire des quintuplées, c'est de voir l'évolution des sentiments des cinq filles. Deux filles seulement ont accepté d'emblée leur professeur. Une autre était bien partie pour l'accepter, mais par sa faute il se l'est aliénée, ce qui va mettre du temps à se guérir. Une autre, sur la réserve au départ, tombe rapidement amoureuse, mais elle est prisonnière de sa timidité et de son manque de confiance en soi. Enfin, même la plus hostile finit par s'attacher à lui. Et comme le héros a des valeurs et surtout ne semble rechercher que du sérieux, loin d'en profiter, il va devoir mettre des distances à certains moments. La rivalité entre sœurs va devenir à son tour intéressante à observer. Toutes ces peintures font l'intérêt du manga.
Pour traiter un tel sujet, l'auteur est assez habile. De manière prévisible, il va jouer sur la confusion physique entre les cinq filles qui peuvent se faire passer l'une pour l'autre, mais surtout on a un récit peu habituel. On va avoir un récit assez fragmenté, on passe d'une scène à une autre brutalement, alors même qu'on s'attend à des révélations tranchées. On n'a pas le récit où deux personnages sont l'un avec l'autre et on les voit vider leur sac jusqu'au bout. Enfin, certes, on a des scènes plus ou moins longues de dialogues entre deux personnages, mais on a des interruptions, des non-dits et puis plusieurs fois on nous oblige à quitter une action qui a l'air de révéler pas mal de choses pour nous faire passer à ce qui se passe avec d'autres personnages.
Un autre aspect particulier du manga, c'est que pour montrer les points de vue des cinq filles et parfois aussi celui du héros masculin on a des chapitres qui rompent avec la progression chronologique, on voit une scène du point de vue d'une fille, puis d'une autre, et ainsi de suite. Et même dans ces cas-là, on a des imbrications. Certaines bribes d'une action dans un point de vue reçoivent leur explication ou un nouvel éclairage dans un récit à partir d'un autre point de vue.
Parfois, les passages du coq-à-l'âne sont un peu déroutants. Ce n'est pas que ce soit frustrant, mais on se dit pourquoi l'action ne nous est pas présentée jusqu'au bout ici. L'interruption est un peu artificielle et peut même nuire à notre attention aux détails, car ça devient un peu compliqué et confus parfois. Ceci dit, c'est une expérience de lecture assez unique, autant en profiter et la prendre telle qu'elle est. C'est justement très intéressant cet art du récit, même s'il est parfois un peu maladroit dans sa mise en place.
Pour ne pas être trop long et avant de passer à une partie sous cache pour parler de la fin, il reste à dire quelques mots sur les dessins. Le profil des cinq filles est bien conçu, ainsi que celui de la petite soeur du héros. Pour tout ce qui est des personnages, le dessin est convaincant. Il y a des compositions artistiques au sujet des personnages en groupe, ce qui fait qu'on peut admirer des planches.
Pour les décors, l'auteur s'est moins embarrassé. Beaucoup de cases ont des fonds blancs ou des décors faciles à dessiner. Il y a pourtant de temps en temps des extérieurs de nuit qui sont soignés, ce qui retient évidemment l'attention en comparaison des décors neutres habituels au manga. On a aussi une technique qui a retenu mon attention, c'est le fait de mettre en relief un personnage qu'on voit de loin par un contour blanc. Par exemple, dans une scène de foule, le héros est à la recherche de la sœur Ichika qui lui est montrée du doigt parmi les nombreux passants vus en plongée. Elle a un petit contour blanc pour que le lecteur la repère lui aussi. Bien plus tard, Uesugi se promène dans la nuit avec Itsuki. On a une des images au décor travaillé du manga où on les voit de loin. C'est la nuit, il y a des arbres, etc., mais les deux personnages sont mis en relief par un contour blanc.
Maintenant, passons à la partie sous cache. Je vais parler de la fin du manga. En fait, au départ, plusieurs indicateurs font penser qu'il n'y a pas de réel suspense. Itsuki est nettement détachée du lot des cinq sœurs. Ce n'est que progressivement que l'histoire devient plus embrouillée et ne permet pas de trancher si aisément. Ensuite, si ce manga plaît, il faut dire aussi que, selon le personnage féminin auquel on s'attache le plus et qu'on veut voir finir avec Fûtaro, ben on risque de sacrées déconvenues. Il y a ceux qui préfèrent Ichika, d'autres préfèrent Nino et il faut dire que Nino devient un personnage sacrément touchant dans la suite de l'histoire, et puis nombre de lecteurs parmi lesquels je me range sont définitivement acquis à Miku. Le clan favorable à Yotsuba était le plus maigre de tous. Itsuki venait seulement en deuxième dans mes attentes. Ce qui m'a marqué, c'est Miku. Elle dit très tôt qu'elle est amoureuse avec conviction, elle rougit, elle travaille avec cœur et conscience à plaire à son élu. Elle vit complètement son amour dès le départ et elle est touchante dans ses souffrances. En plus, elle a pour le fan service l'avantage considérable de ses bas noirs et de son manque de pudeur tout en innocence. Elle a aussi la coiffure la plus avantageuse et c'est celle qui part le plus loin au plan des vêtements, cas à part des bas noirs. Elle vit l'injustice et si sa passion jalouse la porterait elle aussi à être injuste elle sait ne pas basculer. C'est assez nettement le personnage amoureux le plus marquant de la série. Nino est un cas particulier. Fermée au départ, un peu artificielle avec ses ongles à plusieurs motifs, etc., elle est le personnage amoureux qui se révèle. Elle est honnête avec ses sœurs qui sont ses rivales, et en même temps elle est entière dans sa passion, puis on a aussi l'effet intéressant que tout en étant captivée par les clichés du rebelle, de la mode, elle a un côté fleur bleue, un côté délicates attentions. Itsuki est celle qui construit la relation la plus prometteuse, mais aussi la plus convenue. Elle fait songer au dicton selon lequel l'amour commence par une dispute, puisqu'elle et Uesugi ont souvent des prises de bec, entièrement de la faute de Uesugi d'ailleurs. Elle a le privilège de connaître personnellement la famille de Uesugi, d'y manger et même d'y dormir parfois. Elle est aussi celle qui veut remplacer la mère disparue. Quant à Ichika et Yotsuba, elles acceptent d'emblée Uesugi, ne se disputent jamais avec lui. Elles ne vont devenir intéressantes qu'à partir de révélations qu'il faut réserver à une partie sous cache.
Il est clair que le manga est plutôt porté par les trois sœurs Itsuki, Miku et Nino, même si l'amour trop prononcé de Miku en fait une favorite trop évidente dans un manga. Itsuki avait le côté favorite dès le départ, c'est elle que le héros rencontre en premier au lycée, mais une fois que le suspense devient réel, elle devient le leurre placé là dès le départ. Qui plus est, au fur et à mesure de la lecture du manga, Uesugi me semble avoir une attitude très injurieuse à l'égard d'Itsuki. Il la traite trop souvent d'idiote et de fille qui va grossir à force de manger. En plus, il la pense en fille gâtée bourgeoise. Du coup, à un moment donné, on se dit qu'ils ne se disputent pas parce qu'ils vont découvrir qu'ils sont fous l'un de l'autre, on comprend qu'il ne s'intéresse pas vraiment à Itsuki et qu'il faut se reporter sur les autres personnages. On se rend compte aussi que la construction de Miku tend à l'impasse dans le manga, on se dirige vers une sorte de pitié tant la fille a du mal à exprimer ses sentiments. L'amour pour la fille timide aurait pu se concevoir, mais quand on voit que les quatre sœurs, certaines se repentant de lui avoir fait des coups bas, l'aident à avoir un moment qui ressemble à un rendez-vous on comprend aussi qu'on peut pas avoir une scène très réussie où Uesugi expliquerait sa préférence pour elle entre les cinq filles. Jusqu'au bout, Itsuki reste plus crédible que Miku en tant qu'amour révélé à la fin du manga, même si dans la vie réelle Miku l'emporterait haut la main. Quant à Nino, son mauvais départ joue contre elle, mais aussi le fait qu'en voyant la photo de Uesugi en jeune rebelle elle ne s'identifie pas à l'amour de jeunesse l'ayant rencontré à Kyoto. On comprend assez facilement qu'elle ne peut pas être la fille de la promesse. Il ne resterait alors qu'une possibilité, c'est que le mangaka prenne le parti de remettre en cause la promesse d'enfance et d'imaginer un suspense où il faut dissocier la fille de l'enfance et la femme mariée, qui seraient deux sœurs distinctes. Mais, à aucun moment, on arrive à croire que Nino va l'emporter, elle est touchante en tant que vouée à échouer.
Le cas Ichika est particulier. Elle est devenue une fille à cheveux courts qui s'entretient certainement elle-même, mais qui vit dans le désordre et le laisser-aller, voire les odeurs de la chambre qu'elle ne nettoie pas. Cela jure complètement avec l'image de l'amour d'enfance de Uesugi. Sa relation avec Uesugi n'est à aucun moment problématique, il n'y a pas la petite flamme qui fait que cela peut s'embraser comme pour Miku, Nino et Itsuki. Le personnage va pouvoir entrer en compétition au bout d'un certain temps grâce à une révélation sur le caractère du personnage. Elle veut devenir actrice et elle va être celle qui pour s'accaparer Uesugi se fait passer pour ses rivales et diffuse des mensonges. Toutefois, au plan du récit, cela tend à la discréditer, encore qu'un manga où la manipulatrice triomphe serait assez piquant. Démasquée et honteuse face à Miku, elle sera rapidement hors-jeu finalement.
Il est alors temps de parler de Yotsuba. Yotsuba est complètement effacée au départ de l'intrigue. Elle n'a pas les pouvoirs de séduction de ses sœurs. C'est une fille ordinaire, elle a bien sûr ses traits particuliers : brillante sportive, geek du ruban en oreilles de lapin dans les cheveux, gentille et dévouée, mais on ne la sent pas très sensuelle comme les quatre autres filles. On n'a pas l'expression de ses émotions brûlantes. Elle est la seule avec Ichika qui accepte sans problème Uesugi comme professeur particulier, il n'y a pas une difficulté de départ pour créer une histoire. Ensuite, pour ce qui est de la fille de la promesse d'enfance, à un moment donné, Uesugi rencontre une des quintuplées qui s'est habillée en cette enfant du passé, on sait à peu près avec évidence que c'est Itsuki, il la rencontre sur une barque et tombe à l'eau. Or, dans ses habits de sport, Yotsuba vient alors à sa rencontre, ce qui veut bien dire que ce ne pouvait être elle sur le bateau. Itsuki est alors plus favorite que jamais.
Et pourtant, Yotsuba attire un peu comme Miku la pitié du lecteur. Elle a tellement l'air de n'avoir rien pour elle, (pas forcément dans ses qualités, mais dans ce que développe le récit) qu'on s'attend à ce qu'elle soit une favorite. J'avais lu un court bonus où on a une blague entre les soeurs. Quelqu'un lui dit : "Yotsuba, tu as tes chances, tu es une des cinq préférées de Uesugi" Et elel s'écrie : "Youpie, je suis parmi les cinq préférées!" La blague est assez vacharde. Mais, justement, le manga n'aurait-il pas une construction à suspense typique de la manière d'Agatha Christie ? Dans ses romans policiers, Agatha Christie impose souvent en coupable à la fin la personne à laquelle on s'attendait le moins. Du coup, quand on a compris, on fait attention aux personnages qui ne font que passer dans l'intrigue. Or, Yotsuba a des indices favorables plus que troublants.
1) Puisque la série s'inspire de Nisekoi, Yotsuba a le ruban à oreilles de lapin de Shitoragi et aussi ses compétences physiques, mais son caractère est celui de l'effacée Onodera. Elle est comme par hasard le mélange des deux héroïnes principales de la série Nisekoi.
2) Les quintuplées ont un jeu où elles s'identifient à un doigt de la main et Yotsuba correspond à l'annulaire, ce qui pour le lecteur attentif indique qu'elle est une bonne candidate pour passer la bague au doigt.
3) Uesugi et Yotsuba ont en commun de ne pas être portés sur le sexe, de ne pas être sensuels, d'être dévoués à tout le monde, etc.
J'aurais pu en parler dans la partie sans cache, mais le manga a un petit défaut pour moi, c'est le nombre de fois où il est question de résolutions par l'amitié, la volonté, par le fait de ne pas renoncer à ce qu'on croit, etc. C'est des clichés de mangas et en même temps c'est un discours qui ne me convainc pas pleinement. Les résolutions des conflits de la classe pendant le festival ou le fait qu'Itsuki donne une leçon à son père biologique, je n'étais pas fan, c'était trop contraire à ce que je crois le réel. Ceci dit, dans cette partie sous cache, il faut en parler, car si le mangaka défend cette morale-là dans le tout des rapports humains il se trouve que Yotsuba et Uesugi sont dévoués à tous, quand Ichika, Miku et Nino sont clairement individualistes. Il en va différemment d'Itsuki, mais même là une petite différence sépare Yotsuba d'Itsuki. C'est Yotsuba qui propose de mettre en avant Uesugi en en faisant le délégué, c'est Yotsuba qui aide tout le monde en s'effaçant, quand Itsuki veut se voir dans le miroir en train d'enseigner ou d'être la mère.
4) Alors que les autres filles se sont déclarées plus ou moins, si pas devant Uesugi, du moins entre elles, Yotsuba a une scène étonnante qui révèle fortement qu'elle sait ce qu'elle veut, c'est quand, après avoir été invitée à mentir, ce qu'elle ne sait pas très bien faire, elle s'occupe de Uesugi malade qui repose la tête sur ses genoux, et elle lui dit un surprenant "Je t'aime". Elle prend bien le temps d'apprécier l'effet sur le visage de Uesugi avant de lui dire "Tu vois, je sais mentir moi aussi." C'est à l'évidence une scène très forte et très subtile du manga qui a bien remis en course Yotsuba.
Il faut dire que le mangaka a un peu tôt vendu la mèche que Yotsuba était la fille que Uesugi avait rencontré étant plus jeune. La révélation ne vient pas si tôt, aux quatre cinquièmes du manga à peu près, mais la révélation est livrée par une sœur comme ça sans prévenir. Dès ce moment-là, on comprend qu'elle est celle que va épouser Uesugi. Pour le dernier cinquième de l'histoire, le suspense ne fonctionne plus vraiment. Seule Itsuki aurait pu permettre de le ménager encore un peu, mais je trouve que l'ascendant pris par Yotsuba devient trop évident.
Pourtant, le mangaka aurait pu jouer sur une révélation d'Ichika. Celle-ci revendique avoir rencontré Uesugi dans le passé, elle a pu se faire passer pour Yotsuba et avoir la dernière entrevue avec Uesugi. Bizarrement, le mangaka n'est pas revenu sur cette piste qu'il a ouverte si longtemps à l'avance. Et vu que de toute façon, le héros a passé une bonne partie de la journée avec Yotsuba et que c'est dehors qu'il a fait sa promesse, le mangaka n'a pas créé les conditions pour soutenir le suspense solidement. Le cas est plus troublant avec Itsuki, puisque lors de l'épisode de la barque, on savait que c'était Itsuki à 99% et que ce ne pouvait pas être Yotsuba. C'est ici qu'intervient une autre ficelle du roman policier, Itsuki s'est fait passer pour Yotsuba et si Yotsuba était dans les parages c'est que Yotsuba était au courant de la manœuvre d'Itsuki.
En gros, dès qu'on apprend que Yotsuba était la fille de la promesse, si on fait l'effort de se rappeler tout ce qu'on a lu avant, on peut aisément deviner que l'histoire de la barque était un leurre pour faire croire que Yotsuba n'était pas dans le coup, alors que rien de tel n'est fait pour les autres sœurs. Il y a d'autres signes de la victoire imminente de Yotsuba et des scènes marquantes lui ont bien été réservées. En voici une autre assez scotchante. Lors du derneir festival, une amie d'enfance retrouve Uesugi et se tient à son bras, provoquant la jalousie des cinq soeurs. Yotsuba est cachée avec Miku et observe de loin. Or, la fille révèle qu'elle est une amie d'enfance de Uesugi, qu'elle connaît l'histoire de la fille de la promesse d'enfance et qu'elle était à Kyoto, et elle demande laquelle des cinq peut être cette fille du passé, et elle les nargue en demandant si Uesugi préfère elle ou les quintuplées. On a une scène assez hallucinante où Yotsuba sort de sa cachette et part à l'affrontement en disant le visage sombre "C'est moi qu'il préfère". Elle ne finit pas sa phrase, mais c'est l'idée, et elle ne la finira pas parce que le danger est désarmé. C'est une scène vraiment subtile, parce que Yotsuba n'a jamais combattu ses sœurs. Ici, il ne s'agit pas seulement d'une autre fille, mais d'une rivale du passé, la seule rivale du passé dont elle ignorait l'existence, rivale est un bien grand mot, mais c'est comme ça que Yotsuba le vit. C'est mine de rien un des plus beaux passages du manga. Yotsuba lâche tout ce qu'elle a, et personne ne se rend compte de rien, alors que tout est dit. Les autres se rendent compte que Yotsuba est elle aussi amoureuse, certes, mais l'explosion de Yotsuba dit beaucoup plus de choses en fait : sa détermination, sa fierté, son idéalisation du passé, tout y passe...
Sur Yotsuba, j'ai moins aimé quand on apprend que, suite à sa rencontre, elle a été un temps plus studieuse que les autres et que c'est en se dispersant dans les activités qu'elle est devenue la plus sotte et qu'elle se sent coupable d'avoir fait changer d'école à tout le groupe. Cela rend un peu irrégulier le profil de Yotsuba, tout en l'approfondissant, et quand je dis "irrégulier", j'entends bien "incohérent" et cela rend aussi un peu incohérent la situation d'échec scolaire des quatre sœurs qui n'ont fait qu'être solidaires de son redoublement en prétendant avoir triché aux examens. Les explications sont un peu bancales, les lecteurs de bonne volonté y croiront, mais moi ça me gêne un peu.
La fin du manga me désole également. Uesugi et Yotsuba se marient, et les rivales restent unies et l'acceptent. Mais, il s'est passé cinq ans depuis que Uesugi s'est déclaré à Yotsuba. Or, Ichika, grande actrice, vient seule. Itsuki est devenue enseignante et elle vient seule également. Miku et Nino travaillent ensemble en cuisine, mais dans une société qui ne marche pas vraiment, et elles prennent des corps de femmes mélancoliques et solitaires qui sont vraiment atroces à regarder. En cinq ans, elles ne se sont pas reconstruites. Même Raiha, encore lycéenne, aurait pu être présente avec un petit ami pour au moins donner une note positive. Là, ça sent trop le délitement. Pour moi, la fin du manga est purement tragique, même si le but était de faire une boucle comique avec un héros qui part en lune de miel avec les quintuplées.
Le fait que Yotsuba l'emporte, ça a un intérêt scénaristique fort, car ça permet de s'intéresser à la fin à tous les personnages à la fois, alors que si elle avait perdu elle serait le personnage qui laisse indifférent, vu que son amour a été assez peu mis en tension au cours du manga. Elle se sacrifiait, du moins en apparence, mais du coup, le lecteur n'était pas motivé à lire son histoire comme ce fut le cas pour Miku, Nino et Itsuki. Pour Ichika, même si elle est le personnage préféré de plusieurs lecteurs, dans la dynamique du manga, elle n'est que moyennement mise en valeur et quand elle l'est c'est en tant que tricheuse. Et démasquée, on voit qu'elle perd complètement pied, se retire même de l'action, alors même qu'elle prétend que c'est vrai qu'elle l'a vu étant petite. En fait, Futarô lui envoie une remarque très méprisante une fois qu'elle est identifiée comme la menteuse. Il lui dit qu'il ne pourra plus lui faire confiance, croire en ce qu'elle dit. J'ai déjà dit qu'il n'envoyait pas des douceurs à Itsuki avec ses remarques sur l'idiotie et le surpoids qui guette, mais pour Miku aussi il y avait un indice de non-amour, puisque quand Miku enlève ses bas noirs, ou plutôt ses collants, il est très énervé et lui reproche son manque de pudeur, et cette idée demeure car il la rappelle de temps en temps. C'était moins évident d'en conclure qu'il ne serait pas amoureux à la fin de Miku, mais ça doit être dans ses valeurs. Itsuki est resté à l'arrière-plan, Ichika s'y est mise, Nino a eu une explosion sur le tard (un peu un truc sur les apparences, car elle a découvert Futarô en blond rebelle et a compris que c'était donc possible pour Futarô) mais son amour pouvait se démonter. Le plus amer dans ce manga, outre qu'aucune autre que Yotsuba n'a d'ami à 22-23 ans, c'est l'échec de Miku finalement. On sort du manga, il y a quand même un malaise. Les lecteurs qui veulent être émus trouveront chouette de voir Miku et Nino seules pas remises, car ça reste dans l'histoire racontée, mais pour moi c'est une fin glauque.
Pour les lecteurs de City Hunter, on peut dire que Yotsuba remporte une victoire à la Kaori, ou encore plus drôle une victoire par Kaori.