Thermae Romae
6.8
Thermae Romae

Manga de Mari Yamazaki (2008)

C'est pourtant vrai que les onsens au Japon n'arrêtent pas de revenir sur le devant de la scène dans les mangas. Il y aurait de quoi en faire une liste. Y'a bien eu de quoi en faire un manga. Deux en l'occurrence avec celui-ci.
Jusque là, je ne comprenais jamais le principe du onsen et de son attrait. C'est-à-dire que j'ai une approche assez fonctionnelle de tout ce qui m'entoure et qu'aussi longtemps que la finalité consiste à se laver, j'en viens à considérer qu'un baquet d'eau froid suffit. Je ne recommande pas l'expérience néanmoins. Payez vos factures de gaz les enfants... on a des regrets quand on oublie.


Je ne comprenais pas donc, parce qu'il y avait précisément quelque chose à comprendre au fait de se baigner en commun dans des sources d'eau chaude. D'autant que Mari Yamazaki, en alternant la focale entre ses archipels et l'Empire romain d'Occident, nous rappelle que ces bains publics n'ont finalement rien de strictement japonais. Que l'usage de ces bains, autrefois populaires durant l'Antiquité, sont simplement tombés en désuétude en nos contrées. La raison de cela, je l'ignore, l'auteur n'aura pas poussé la réflexion ou la documentation jusqu'à cette étendue qui nous aurait amené bien loin. Il n'y a pas matière à lui en tenir grief, mais après qu'elle m'ait ouvert l'appétit avec son œuvre, j'aurais particulièrement apprécié qu'elle me rassasie jusqu'à ce que plus un creux ne subsiste dans mon esprit.


Je peinais donc à croire que la thématique des bains publics puisse être brodée sur autant de volumes. L'auteur y sera néanmoins parvenue sans pour autant remplir avec du vide. La dernière partie du récit avait certes un rien de moins enthousiasmant que le début alors que l'intrigue prenait le pas sur le thème du manga - ce qui est à souhaiter en principe - et qui aura contribué à m'assoupir. C'est pas que ça devenait girly per se, simplement que l'on sentait que ça était écrit par une femme plus que par un auteur à proprement parler.


Thermae Romae, sans trop faire mystère de son sujet tant le titre est évocateur, nous situe donc près de deux millénaires à rebours à Rome. Avec ce manga, l'approche de la Rome Antique s'accomplit par le petit bout de la lorgnette ; un peu à la manière d'un Bride Stories qui nous aura fait découvrir l'Asie mineure en plaçant la focale sur les traditions relatives au mariage. Et comme pour Bride Stories, on est en droit d'attendre une documentation remarquablement étayée. Et j'aime ça, moi, quand on me cite une encyclopédie par page. D'autant qu'on ne s'étouffe pas avec à la lecture ; les informations s'instillent dans le récit sans se forcer à ce dernier, rien qu'en y trouvant leur juste place.


L'ouvrage n'a cependant pas que sa documentation à faire valoir, loin s'en faut. Les multiples incursions momentanées dans le Japon contemporain sont assez amusantes, ce qui en découle, par ailleurs, est relativement passionnant. Passionnant en ce sens où il traduit un passion véritable de l'auteur pour son sujet et le cadre dans lequel évolue ce dernier.
Les découvertes faites par le personnage principal au Japon puis transposé au contexte antique est toujours ingénieux et bienvenu. Il y a une vraie réflexion technique derrière chaque cas pratique présenté à chaque chapitre. On ne se serait jamais figuré qu'il y avait tant de détails à prendre en compte pour une affaire de bain public. C'est un bassin avec de la flotte quoi. Excepté que non, c'est bien davantage.


L'humour occasionné par l'inadéquation entre Lucius et le monde contemporain trouve souvent le moyen de faire mouche. La chose est méritoire en ce sens où les fictions à s'être déjà essayées à ce genre d'intrigue ont déjà pas mal épuisé le sujet. La stupéfaction du personnage et le complexe d'infériorité qui sera le sien devant les toilettes musicales est en tout cas légendaire.


Un mot sur le dessin ? Sans être particulièrement mémorable, il est original, unique, plutôt développé et a le mérite insigne de ne pas avoir un trait typiquement féminin. C'est malheureux à dire, mais il y a des auteurs qui, même si elles s'adonnent à la rédaction d'un Shônen, laissent un témoignage de leurs chromosomes rien qu'à la patte graphique. Là, ça n'est pas le cas. Le style est épuré mais très soigné, personne ne trouvera à dire, mais peu trouveront motif à s'exclamer.


Le défaut des mangas monothématique comme celui tient au fait que le prisme de l'intrigue et de ses tenants y est finalement étroit. Tout tourne autour d'un sujet dont on ne s'évade pas même le temps d'un chapitre. Sur un volume, il n'y a pas de quoi lever un sourcil ; mais sur un temps de parution aussi long, on tique.
Mari Yamazaki aura toutefois été assez habile conteur pour créer - je ne sais par quelle prouesse - un scénario dont les aléas politiques de l'Empire Romain d'alors trouvent moyen d'être mêlés à la question des thermes. Et sans circonvolutions capillotractées ; ça passe crème dans le récit. Me l'aurait on dit que j'aurais été sceptique.
Oui, le sort de l'Empire Romain est sans cesse remis entre les mains de Lucius et ses bains... tout en se voulant crédible dans le principe. On ne pourra s'empêcher d'être très agréablement surpris que l'histoire ait été si bien articulée autour de la politique impériale d'Hadrien et la question de sa succession.


Et puis... on digresse. Même qu'on dérape. L'auteur plus que nous en l'occurrence. Auteur qui, alors, fait l'erreur de se transposer dans le rôle de Satsuki. Satsuki ? Elle est ce personnage que Lucius rencontrera à force de ses allers et retour entre Rome et le Japon contemporain. Elle parle le latin du fait de son cursus universitaire et se prend d'affection pour le beau Romain tihihi !
Sauf que pas «tihihi». Mari Yamazaki n'a pas choisi ce sujet de manga par hasard, elle est une mangaka passionnée par l'Italie et elle-même mariée à un Italien. Je ne pense pas me fourvoyer donc en allant jusqu'à prétendre qu'elle se projette dans son personnage. C'en est patent et, disons-le, décevant. On sent physiquement que l'œuvre se compromet rien que du fait de ce parti-pris scénaristique.


Et comme on pouvait s'y attendre sans toutefois l'espérer - car ce Seinen, du fait de sa qualité objective, m'amenait à nourrir quelques modestes espoirs le concernant - la qualité s'élime rapidement à compter de ce moment. Yamazaki aura essayé d'impulser une nouvelle dynamique afin que sa recette ne s'use et ne se sclérose pas. Ce faisant, elle finira par accorder plus de densité à l'intrigue politique globale entourant Hadrien, mais celle-ci finit par manquer d'intérêt. Et puis... il y a Satsuki ; la Tae-chan locale. Où qu'elle aille, quoi qu'elle fasse, on s'en désintéresse car elle ne trouve pas sa place.
Sa présence dans l'intrigue est si mal justifiée qu'on s'assoupit à mesure qu'elle édulcore tout ce qu'elle touche. Elle aura finalement agi comme un triste poison dissolvant qui, graduellement, fera perdre tout intérêt que l'on peut avoir pour l'œuvre indépendamment de son incontestable qualité.


La conclusion m'aura rappelé un mème - ce qui, vous pouvez vous en douter, n'est pas un bon signe. Le mème Internet en question étant alors un buste d'empereur Romain cachant la poitrine vraisemblablement dénudée d'une femme, l'empereur nous invectivant alors de sa sagesse : «Les nibards sont éphémères, seule la gloire de Rome est éternelle». Eh bien... Lucius a failli à reconnaître la grandeur de Rome comme il se doit en optant plutôt pour les nibards. Thermae Romae se finit alors avec une intrigue à l'eau de rose où il se marie et fait des gosses à Satsuki venue vivre avec lui à son époque. Elle pouvait pas s'en empêcher la mère Yamazaki, elle pouvait pas...
J'avais l'occasion de conclure la critique d'un manga écrit par une femme sans même une pensée misogyne... ça y était presque. Presque. Heureusement qu'il y a Kyu hayashida pour sauver l'honneur de ces dames dans le manga.

Josselin-B
5
Écrit par

Créée

le 12 févr. 2022

Critique lue 354 fois

4 j'aime

Josselin Bigaut

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