Souvent réduit à une montagne de muscles virile et fière, dans la droite lignée de la mythologie nordique et (surtout) les archétypes vikings dont il est tiré, Thor n’est d’ordinaire pas l’Avenger le plus inspirant. Si nous pouvons débattre de sa représentation dans le MCU, somme toute honnête, il ne sera ici que question du support papier avec The God Butcher : ma première expérience en la matière, ce qui la rend d’autant plus marquante.
C’en est même bluffant, sentiment accru à l’aune de sa genèse : à l’initiative du Marvel Now, Jason Aaron et Esad Ribic relancèrent le Dieu du Tonnerre, soit le parfait exemple du mécanisme de renouvellement dans la BD américaine… mais sans se résumer à un simple recyclage. Son titre est en ce sens révélateur, le « Massacreur de dieux » mettant en scène un tout nouvel antagoniste, ce qui amoindrissait la crainte d’une redite (aussi fine soit-elle) : Gorr de son petit nom est, de fait, une franche bonne surprise, tant en termes d’individu pur que de prétexte à la (re)découverte de son adversaire asgardien.
Certes, l’originalité n’est qu’affaire de variations et perceptions, de quoi dire que The God Butcher n’est pas en soi une révolution : néanmoins, lorsque le boulot est fait avec une telle passion, maîtrise et, disons-le, beauté, le résultat ne peut qu’emballer. Exception faite d’un terne affectant la lisibilité de quelques planches, la patte crépusculaire qu’appose Ribic à sa triplette de Thor est à tomber à la renverse : associée à son trait épique, cette atmosphère prenant peu à peu des allures d’apocalypse « divine » compose un écrin de tout premier choix pour ce reboot classieux.
Dans le même temps, Aaron se vautre à loisir dans la plus éculée des intrigues… avec un doigté rare. Il est à ce titre indéniable que sa trame cumule quelques poncifs : entremêlant les temporalités (avec tout ce que cela implique de sacs de nœuds), la menace qu’il dépeint est d’une envergure telle qu’elle ferait pâlir d’effroi Thanos. Mais, dans le même temps, la magie opère : capitalisant à n’en plus finir sur les somptueux décors brossés par Ribic, son comparse de scénariste tisse un récit captivant par-delà sa seule empreinte dantesque. Mieux encore, il apporte une bien belle pierre à l’édifice de la nuance, les motivations et principes de Gorr interrogeant l’ensemble de son auditoire : les lecteurs et… les Thor(s).
Si la démarche n’est pas nouvelle, elle est encore une fois sacrément bien exécutée : des origines que nous devinions dramatiques, à même de légitimer en partie ses exactions, au caractère insidieux de son discours, le manieur de la Necrosword renvoie tout du long le manichéisme dans les cordes. Et même lorsqu’il s’enfonce inéluctablement dans une impasse le parjurant, le flou demeure : en premier lieu avec Thor qui, magnifié et faillible comme jamais, doute de lui et, plus largement au second plan, du concept et du rôle du divin, lui qui aura laissé toute latitude à Gorr pour massacrer en toute impunité bien des panthéons.
Il y a enfin, plus subtilement, une ébauche de réflexion, une amorce sur la croyance au sens large : ici, la lecture dépendra de votre propre conception de la chose, quoique nous puissions nous entendre sur le processus de création des auteurs. En effet, ces derniers représentent, animent et prêtent des paroles à des dieux, fictifs dans le carcan du papier mais découlant d’un pan fondamental de l’Histoire humaine : que les athéistes aient raison ou non, comment dépeindre alors fidèlement d’entités définissants les propres repères et limites des mortels ?
À défaut de réponse immédiate, remettons nous-en au fracas mémorable d’un Thor maniant deux Mjöllnir : quelle claque.