Tintin au pays de l'impro
Après avoir dévoilé au monde ébahi l'infecte réalité communiste et le mode de vie pitoyable des suppôts de Lénine, Tintin est envoyé en reportage au Congo afin d'encourager le carriérisme...
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le 22 juin 2011
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Comme dans Tintin au pays des Soviets (en mieux quand même), le scenario est moyen, c'est manifestement une bd pour enfant qui ne s'intéresse pas trop à la vraisemblance. Surtout, c'est une bd qui véhicule des idées pour le moins contestables, j'y reviendrai.
Tout d'abord, l'aspect peu crédible du récit. Les exemples sont très nombreux, je n'en prendrai que quelques uns. Tintin arrive en Afrique et il est connu de tous, même des Pygmées ! Al Capone veut tuer Tintin car celui-ci aurait eu vent de ses trafics de diamant en Afrique, ce qui est complètement invraisemblable.
Surtout, Tintin est présenté comme un personnage naïf mais sûr de lui et qui s'en sort toujours de façon providentielle alors qu'il prend d'énormes risques en dépit du bon sens. Par exemple, il se fait piquer sa voiture, et tente la retrouver à pied : « si au moins il avait une panne. Sinon, nous ne le rejoindrons jamais ». Evidemment, la panne arrive, providentiellement, et il retrouve la voiture; pour récupérer Milou kidnappé par un singe, il en tue un et revêt sa peau comme un costume ; une tribu voisine de celle où il réside les attaque, et il décide d'y aller sans arme, c'est vraiment n'importe quoi. Un Tintin courageux, c'est normal, c'est le héros, mais aussi complètement inconscient, c'est pour le moins étonnant ! On peut même dire qu'il a carrément des idées de crétin, comme celle d'apprivoiser un lion. Heureusement qu'il a Milou avec lui ! A noter tout de même que dans les tomes suivants, notre jeune reporter adoptera des attitudes plus conformes à un homme sensé, dieu merci.
Ensuite, plusieurs aspects de la bd sont aujourd'hui condamnables, et en premier lieu un racisme très présent : les noirs sont présentés comme crédules, ils croient le premier venu ; il semble tout naturel pour Tintin d'être déplacé en chaise à porteur ; les Congolais sont traités de paresseux, alors que c'est grâce à eux que Tintin est sur sa chaise à porteurs ! Les Africains ne peuvent pas bien parler le français : « missié », « toi y en a bon blanc » ; quand Tintin s'aperçoit que c'est un blanc qui a volé sa voiture, il ne peut s'empêcher de s'étonner : « c'est donc un blanc qui a volé notre voiture ? », comme si ce n'était pas vraiment possible.
Il y a aussi le sorcier du village (pas un blanc ou un Belge) qui dit « moi tenir encore longtemps ce peuple ignorant et stupide sous domination de moi... », ce qui signifie en quelque sorte que le sort des Africains est dû aux Africains eux-mêmes : il n'est pas ici question des effets négatifs de la colonisation, il n'y a pas l'once du commencement d'une dénonciation de la situation. Bien au contraire Hergé nous fait là une apologie du missionnaire, présentant la Mission avec son hôpital et son école (on nous dit qu'avant c'était la brousse).
Tintin a enfin un rapport aux animaux sauvages pour le moins violent, tuant un troupeau de gazelles, des éléphants, un singe, etc. Il fait même exploser un rhinocéros en plaçant de la dynamite en lui. Les protecteurs des animaux doivent apprécier ! Brigitte Bardot, que fais-tu ? Certains disent : j'aime bien cette bd, il y a des animaux : ok, il y en a plein : perroquet, turbot, requin, crocos, singes, lion, serpent, boa, léopards, buffles, etc. mais il faut voir comment ils finissent ! Heureusement, Milou n'aime pas le carnage (est-il la bonne conscience d'Hergé ?).
A noter que cette bd parue en feuilleton en 1930 était le fruit d'une commande de l'Abbé Wallez qui souhaitait que les jeunes belges soient fascinés par leur colonie. La version que nous connaissons est parue en 1947. Elle est plus courte, et il n'y a plus de référence à la Belgique. Et elle est moins précise, notamment sur le parcours de Tintin : en lisant le feuilleton de 1930 (qu'on peut trouver dans Archives Hergé), on suit plus précisément son parcours (départ d'Anvers, passage à Lisbonne, aux Canaries, arrivée à Boma et Matadi), alors que dans l'édition de 1947, Tintin débarque en Afrique on ne sait pas trop où, on ne nous dit même pas dans quel pays, comme si ce n'était pas important, comme si l'Afrique était homogène, d'un seul bloc !
Il faut tout de même reconnaître des qualités au texte, et des progrès par rapport à l'album précédent mais cet album véhicule malheureusement une représentation très clairement raciste des Africains et fait de surcroît une apologie de la chasse, des missionnaires et de la colonisation qui va avec, signalant seulement les apports de la civilisation blanche : médias, chemins de fer, instruction, armes à feu, etc.
Les aventures sont sans grand intérêt et on pourrait croire que c'est un bel album pour enfants, mais il n'en est rien. Là où Hergé aurait pu magnifier la beauté des paysages et de la faune africains, il fait massacrer des tas d'animaux par Tintin ; là où il aurait pu présenter positivement ou au moins objectivement les peuples africains, il ne fait que rabaisser et les mépriser. Là où il aurait pu présenter une vision honnête de la colonisation, il n'en montre que les bienfaits. C'est donc un album qu'on peut montrer aux enfants d'un certain âge mais qui mérite quelques explications de la part de l'adulte.
Pour terminer, et pour répondre à une critique présente sur ce site, je ne crois pas être un bien pensant. Cette bande dessinée est le reflet des idées qui étaient encore majoritaires en Europe dans les années 1930. Mais ce n'est pas parce qu'elle a eu du succès et qu'elle inspire encore les imaginaires de nombreuses personnes qu'il faut accepter sans rien dire les idées passéistes et nauséabondes qui y sont véhiculées. La Françafrique existe toujours, ce n'est pas une raison pour ne pas la dénoncer !
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le 31 août 2011
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