Pas grand chose à rajouter à l'excellente critique de Hunky-Dory, à laquelle je vous renvoie.
J'ai (re)lu cet album juste après avoir été navré par Tintin au pays des soviets (voir ma critique par ailleurs), afin de me rassurer. Les Tintin de ma jeunesse, que j'avais globalement appréciés, étaient-ils aussi nullissimes que Tintin au pays des soviets ?
Non, cet album est plus que correct : un bon scénario, fluide et agréable, un récit sympa dans un cadre exotique ; un bon divertissement mais aussi une critique intéressante et beaucoup moins caricaturale dans son expression que celle de l'URSS dans l'album de 1929. Il y a plus qu'un gouffre entre ces deux albums. On peut ne pas toujours être d'accord avec la vision d'Hergé, mais ici, c'est plutôt juste, on a une caricature assez réaliste de la situation de nombreux pays d'Amérique latine ou centrale dans les années 60-70, même si tous les éléments présentés ici étaient rarement tous présents ensemble dans la réalité.
On a là un régime policier avec des assassinats et des procès truqués. Le carnaval de San Théodoros fait penser à celui de Rio (le pain et les jeux des Romains, pour le peuple, mais surtout ici pour attirer les touristes étrangers) ; la présence du colonel Sponsz venu de Bordurie fait penser à la présence d'anciens criminels de guerre nazis venus se réfugier en Amérique latine, comme Eichmann en Argentine ou Barbie en Bolivie (voir à ce sujet ma critique de L'ennemi de mon ennemi, le documentaire de Kevin Mcdonald sur le parcours de Barbie) ; les bidonvilles évoquent de très nombreuses villes sud-américaines ; la pyramide paztèque fait penser à Chichen Itza au Mexique ou aux autres monuments mayas du Guatemala, par exemple.
Hergé dénonce aussi l'utilisation de l'alcool pour vaincre les Indiens ou les rebelles (parachutages), ce qui à mon avis fait davantage référence à ce qui s'était passé un siècle plus tôt en Amérique du Nord.
L'aspect peut-être le plus critiquable est la description de la guérilla opposée au régime, avec des rebelles présentés comme des apprentis dictateurs qui ne sont intéressés que par le pouvoir et la richesse, et qui sont prêts à exécuter à tout va, tout comme leurs prédécesseurs. Pour Hergé, ce ne sont donc pas des révolutionnaires au sens propre du mot, mais des conservateurs qui veulent juste remplacer les dirigeants au pouvoir. On voit d'ailleurs à la fin de la BD que la ville ne change pas avec le changement de pouvoir : les militaires restent les mêmes, et les bidonvilles sont toujours présents. C'est donc une vision pessimiste de Hergé, qui pense peut-être ici aux barbudos de Fidel Castro et Che Guevara qui, peu nombreux, réussirent à renverser en 1959 la dictature mais pour en mettre en place une autre.
Quoiqu'on puisse penser de cette question, Tintin et les Picaros est une BD plutôt réussie, Hergé utilisant avec talent le format, le suspense étant bien mis en place dans la dernière case avant de tourner la page. Il y a aussi beaucoup d'humour, le capitaine Haddock est en pleine forme, si ce n'est qu'il ne supporte plus son whisky, le professeur Tournesol est toujours aussi dur de la feuille, mais Hergé n'écarte pas les questions sérieuses : Tintin est ici présenté comme un partisan de la non-violence et comme un défenseur des droits de l'homme, énergiquement opposé à la peine de mort.
Mes critiques des autres tomes :