- Dès que tu lui enlèveras son attelle, je commencerai son entraînement militaire. J'ai assez attendu.
- Capitaine, tu dois comprendre qu'un genou, c'est plus fragile qu'une caboche, surtout chez les pisse-lait... Son articulation gardera une grande faiblesse, il aura une attelle à vie.
- À vie ? Mais un soldat du Bouclier ne peux pas combattre avec une attelle à !
- Vois les choses en face, Dohan sera boitard.
- Un boitard ?! Tu veux dire qu'il ne deviendra jamais un cognar ? Pas même un guerrier médiocre ?!
- Je suis désolé, capitaine...
- Moi, je serai un guerrier, père. J'honorerai le nom de notre lignée.
- Tais-toi ! Jamais une pisseuse n'entrera dans la garde du Bouclier, pas plus qu'un boitard !
Tiss du Bouclier signe l'achèvement de la découverte des cinq ordres composant la structure et le fondement du pouvoir Nains. Après la découverte de l'Ordre de la Forge par Redwin, celui du Talion par Ordo, du Temple par Aral, ou encore des Errants par Oösram, voici l'ordre du guerrier : celui du ''Bouclier''. Le scénariste Nicolas Jarry toujours sous l'effigie éditoriale "Soleil", achève avec ce cinquième tome un cycle structurel passionnant autour du pouvoir Nain, situé dans l'univers d'heroic fantasy des « Terres d’Arran » qui s'inscrit en parallèle d'autres aventures mythiques avec '' Elfes '', " Orcs & Gobelins ", et '' Mages. " Un univers d'une richesse incroyable qui possède sa propre identité incarnée par plusieurs tomes s'articulant dans des trames uniques traitées de manières sérieuses. Une épopée médiévale fantastique fabuleuse, d'une généreuse variété par les personnages qu'elle présente, ainsi que les diverses régions de ce monde extraordinaire que l'on explore avec allégresse et qui fait l'abondance de chaque album.
Avec Tiss du Bouclier, l'auteur nous invite à réfléchir en articulant son récit autour d'une héroïne principale qui va devenir la première guerrière de l'ordre des Boucliers dans une société où la sphère masculine domine totalement la sphère féminine. Une route laborieuse que Tiss va gravir sous une volonté de fer en brisant un à un les tabous qui feront d'elle une capitaine importante. Une guerrière qui grâce à son charisme, ses actions et ses méninges va amener les autres nains de son régiment à se battre pour elle. Le portrait sacrificiel d'une femme dépeinte telle Jeanne d’Arc mais dans une mouvance plus rustre. Une conduite intelligente véhiculée par un symbolisme qui n'est jamais étouffé par un modernisme féminin fourre-tout. Pour devenir une combattante avérée, Tiss renonce à sa féminité en se mélangeant aux hommes comme si elle en était un, allant jusqu'à prendre ses douches avec ceux-ci, pour devenir un frère d'armes à part entière. Traitée sur un pied d'égalité total ! Nicolas Jarry décrit avec justesse les implications sociétales et familiales de ces changements qui posent une réflexion sur l’évolution des mentalités et des comportements aux préjugés sexistes également présents dans les Terres d'Arran. Une manœuvre scénaristique habilement posée à travers le ressentiment d'un père et les regrets d'une jeune femme, mais aussi par un second regard critique autour du handicap d'un fils.
Les dessins de Nicolas Demare sont réussis : parmi mes préférés de cette saga littéraire qui pour chaque tome change de dessinateur. L'approche graphique de Demare pose autour des personnages des contours généreux avec un soin du détail autour des armures et autres costumes très appréciables. Même constat autour des traits de visages plus soigné, crédible et adulte offrant une structure osseuse adéquate avec le sujet proposé. Sur une colorisation convaincante signée Digiklore Studios, les décors sont une fois encore somptueux avec la découverte de lieux fantastiques comme : la forteresse-état naine d'Arkar'um, la ferme du capitaine Brahm, et l'imposante Porte des Grav, où va se jouer l'action principale du récit. Une bataille impressionnante et sanglante contre une menace hérédité depuis des temps immémoriaux avec des ogres des terres au-delà du massif du Lime qui rêvent de conquérir les royaumes nains à l'Est du pays des vents. Les moments de bravoures et de sacrifices nains s'accumulent ! On est captivé par l'intensité de la bataille qui se joue avec un fond dramatique puissant qui pose toute la devise du Bouclier : « Tenir ou Périr ! »
CONCLUSION :
Tiss du Bouclier : tome 5, édité par Soleil, achève la découverte des cinq Ordres du pouvoir Nains situé dans l'univers des Terres d'Arran. Un cinquième album convaincant aux illustrations riches qui rendent plus agréable la lecture de cette bande dessinée. Le scénario propose une approche nuancée autour du conditionnement des femmes naines ainsi que du handicap dans une société adaptée pour les forts. Une conduite scénaristique qui apporte une intelligente touche critique et dramatique qui laisse la part belle à des superbes scènes d'action. Une aventure au souffle épique !
Une belle représentation de la philosophie naine dans laquelle, le sacrifice de soi est la condition de la vertu.
- Que fait-on, capitaine ?
- On tient ! On remet tout ce merdier en ordre et on tient jusqu'à la prochaine relève, mes poilus... On tient parce qu'on est des nains ! On tient parce qu'on est des nains et qu'un nain, même s'il est boitard, même s'il s'est fait boulotter un morceau par un viandar, même s'il est sourd comme un joufflu de grognar et a la tremblote, il tient et ne lâche rien ! Et désormais je me battrai pour qu'on ne puisse plus refuser le droit de porter le Bouclier ni à un boitard ni a une pisseuse ! Tenir ou Périr !
- Tenir ou Périr !