J’admets, j’y ai cru un instant – mais un instant seulement. Au dessin, j’ai subodoré du Taiyô Matsumoto. Le temps de lire deux pages, avant de me décider à prendre connaissance de l’auteur, je jugeais finalement qu’il n’en était rien. Aurais-je poursuivi encore une dizaine de pages que je serais parvenu à cette conclusion par mes propres moyens en réalisant que j’étais totalement à côté de la plaque dès lors où les premiers visages des protagonistes me parvinrent. Avant qu’on mesure à quel point le style, en définitive, s’en éloigne énormément. C’est un compliment que j’adresse alors, pas une accusation de plagiat. On tend ici vers ce résultat stylistique aux airs à la fois inachevé et éthéré, comme un dessin d’enfant inscrit dans un nuage. De ce résultat somptueux, ça s’en rapproche… mais de si loin. Du reste le dessin demeure méritoire pour ce qu’il nous rapporte.
Fuyunosuke, bien qu’il nous soit jeté en travers du regard pour qu’on s’y abandonne en se laissant attendrir, est finalement mal présenté. D’une ingénuité forcée afin d’appuyer artificiellement un aspect innocent et gauche qu’on se devrait de tenir pour touchant, il est aimé de tous et plaît sans avoir à commettre le moindre effort. Cela nous est d’ailleurs narré sans subtilité afin de nous faire savoir à quel point il est un homme adorable. Quand, avec si peu de subtilité, on cherche à forcer mon affection, le système immunitaire critique qui est le mien prend le parti de faire tout le contraire. Et légitimement.
L’exposition de l’intrigue, du pourquoi de la présence de ces aliens est franchement outrecuidante et conduite sans discrétion. Les dialogues, pour nous faire parvenir les informations supposées nous intéresser, sont entrepris sans aucun naturel, suintant et même débordant de faux dans la prose. Enfin… j’imagine que cela pourrait être pire et, qu’à la place, nous aurions pu avoir des encarts narratifs tapissés plein les planches.
C’est donc une histoire de migration alien, mais entreprise à ses prémisses avec deux éclaireurs sur lesquels sera porté la focale de l’histoire qu’on nous narre.
L’incongruité de deux aliens n’étant pas familiers avec les mœurs humaines – et plus spécialement japonaises – n’est porteuse d’aucun humour. Une comédie ou le décalage entre des protagonistes étrangers à un univers qui leur est foncièrement étranger dans lequel ils cherchent à s’y fondre discrètement est potentiellement intéressante dans les termes, mais sa concrétisation, toujours laborieuse. Pour un film Les Visiteurs, combien de pâles et honteuses copies ont vu le jour en se confondant dans le placenta avec lequel elles furent excrétées. L’idée de base se tient, mais les idées supposées en découler, elles, visent à côté tout du long. Espérer de l’originalité ou de l’inattendu y est proscrit, tout y sera confondant de prévisibilité. Quant à l’humour… l’auteur aura tenté. Mais on ne réussit pas nécessairement tout ce qu’on entreprend, comprenez-vous. Vous le comprendrez en lisant Tokyo Aliens Bro, à ne pas confondre avec Tokyo Aliens qui est quant à lui un tout autre manga n’ayant rien à voir avec celui-ci.
Je lui trouve des aspects bien féminins à cette œuvre-ci. Le dessin, tout d’abord, pour ce qu’il a d’épuré et de propret, mais aussi le caractère doucereux et mignon de tout ce qui y gravite. Shinzo Keigo, contrairement à ce à quoi je m’attendais, est un mâle. Il n’empêche que.
Le manga est finalement davantage un recueil de prétextes à devoir nous exclamer « Oh, que cette interaction est cocasse du fait que ces aliens ne possèdent pas les codes culturels pour comprendre, voilà qui est à la fois drôle et singulier ». En réalité, l’inspiration n’est pas franchement probante. C’est gentillet néanmoins et ça se laisse lire aussi facilement que ça se laisse oublier.
Certains gags font mouche, même s’ils ne font que nous érafler, néanmoins, quelques sourires s’esquissent parfois. Il y a parfois de bonnes idées, mais il y en a peu. Un Parasite – dans un registre autrement moins drolatique cependant – dévoile bien mieux l’infiltration d’un monde par des espèces invasives prenant l’apparence d’humain. Je doute que l’auteur avait vocation à être aussi précis et exhaustif dans son approche que le fut Hitoshi Iwaaki, néanmoins, la comparaison ne pouvait pas ne pas être faite.
Fuyusuke et Natsutarô vont jouer au tennis, Fuyusuke et Natsutarô vont au zoo, Fuyusuke et Natsutarô vont… et les petites escapades se suivent sans faire de bruit ou de vague, espérant susciter parfois un sourire un nous intimer à des réflexions sur la nature humaine.
Y’a pas matière à s’en faire un repas.
La scénographie reste assez bien conçue pour rendre l’expérience de lecture convenable. C’est grand dommage qu’elle ait si peu de chose à rapporter si ce n’est des pistes de lecture assez faciles à deviner et dépourvues d’ambition. En trois tomes, vous me direz, il n’y a pas non plus de quoi faire des plans sur la comète.
Le deuxième volume est tourné vers la quête de Natsutarô à trouver une copine, condition sine qua non – et plutôt vaseuse – pour que sa race décide d’entamer un plan de migration sur Terre. Sachant que l’œuvre ne se donne aucun grand air, j’ai choisi d’accueillir le scénario avec désinvolture souhaitant voir où il nous conduirait. Si ce n’est des gags – là encore prévisibles – et un script convenu avec même un début de triangle amoureux qui aura le temps de se dessiner, il n’y aura rien d’autre à se mettre sous la dent. Je n’en attendais pas plus. Tokyo Alien Bros ne cache pas son manque d’ambition et, de ce fait, ne déçoit jamais trop car ne s’engageant réellement à aucune promesse en particulier.
Heureusement, venu le troisième tome, le manga, après nous avoir relativement indifféré tout du long, trouvera le moyen de s’attirer le mépris de son lectorat. Les aliens, le temps d’une expérience sociale, s’essayent à changer de sexe puisque leur morphologie leur permet. Et naturellement, il s’en faudra de moins de vingt-quatre heures de temps pour que Fuyusuke – version fille – manque de se faire violer et un mâle en s’exclamant, sûr de son bon droit, « Les hommes de cette planète sont des êtres dégoûtants ». Contrairement aux femmes qui, toutes autant qu’elles sont, s’avèrent des créatures pures, délicates et vertueuses. Comme chacun le sait.
bruit d’un rire qu’on étouffe dans sa gorge
J’ai comme l’impression que cet auteur, si on s’en approche de près, doit dégager une odeur de lait de soja assez prononcée. Je spécule, évidemment… néanmoins, je ne crois pas prendre de risques inconsidérés en m’essayant à une pareille hypothèse. Un truisme aussi minablement pensé que « Les mâles sont méchants », n’est pas un message malheureux et innocent grifouillé au hasard d’une planche. C’est un message qui fut savamment conscientisé avant qu’il ne soit accouché sur le papier. L’auteur aura tordu la réalité pour la faire entrer dans le moule de son idéologie rancie et, de là, son œuvre passa de fade à infecte.
L’écriture n’en finit d’ailleurs pas de se complaire en fainéantise alors que d’un chapitre à l’autre, sans que rien n’y prépare le lecteur, les supérieurs des deux infiltrés leur annoncent qu’en fait, ils ont trouvé une autre planète pour migrer, et que le plan d’infiltration de la planète Terre n’est plus d’actualité.
Entendu. Merci.
Ces deux aliens, tout du long… ont agi en humains. Leurs jugements moraux, leurs codes sociaux, leurs réactions à tout ce qui s’impose à eux… rien que des humains. Rien n’a été franchement travaillé pour les rendre autres afin de mieux crédibiliser leur rôle.
Passée la séquence du « Les hommes sont tous des violeurs en puissance », Shinzo Keigo improvisera pour compléter son troisième et dernier volume. Les errements d’un Fuyusuke devenu un Sasuke de prisunic nous dureront trois chapitres en cherchant à faire naître des remous après avoir jeté un drame en carton pâte au milieu d’une intrigue qui ne savait pas où elle allait. Tous les clichés y passent, gare à ne pas être ébloui. On aura même droit à un arc « Adieu Natsutarô » où la séparation aura bien duré quinze pages avant des retrouvailles se voulant en principe émouvantes.
Une conclusion doucereuse pour achever le festival des ficelles scénaristiques prévisibles et tout se finit admirablement bien. Il n’y a eu ni but, ni leçons acquises, ni incidence aucune de l’expérience des protagonistes du l’œuvre. Un sans faute.
Que tout cela fut léger et superficiel. Dispensable aussi. Accessoirement.