Il n’y a pas de bonne saison ni de bon âge pour abandonner ses enfants. La mère de Shoyu et Miso les laisse à son frère en hiver, alors qu’ils ont moins d’un an. Ignorant qui sont leurs vrais parents, ils grandissent dans un foyer sans amour. Les vers tiennent lieu de protéines. Comme ce sont des bouches à nourrir inutiles ils sont vendus à un cirque pour gagner leur croûte en tant que nouvelles « étrangetés » susceptibles d’attirer les badauds. On maximise ses profits comme on peut (et veut).
Et c’est là que l’autre côté du miroir se révèle : les « monstres » du cirque ont une histoire, ils forment une famille. Il y a un « nous » qui se forme face à « eux ». On jurerait presque que Nightmare Alley et Tomino la maudite puisent aux mêmes sources. Et il faudra des liens forts pour résister à la turpitude d’un monde où l’exploitation se joue dans bien des sphères, où les rêves d’ailleurs peuvent vous conduire dans des territoires plus dangereux encore et où la fabrique des monstres se révèle aussi terrible qu’on pouvait l’imaginer (et vive la mondialisation au passage !).
Dans un entrelacs où religion, argent, commerce, mafia et industries culturelles se côtoient, Suehiro Maruo fait passer bien des épreuves à notre duo de jumeaux. Au risque de perdre en cours de route la trame du récit et de s’égarer le temps de quelques pages et chapitres pour mieux se recentrer sur un final où la note d’espoir conserve ce goût d’amertume et le regard ce strabisme si omniprésent chez Maruo.