Cette bande dessinée aurait pu être bien, et c'est probablement ça son principal problème.
Le sujet de départ était a priori non seulement intéressant en soi, et d'actualité: on était dans un récit de l'ordre de la "science-fiction civique", un "genre nouveau" comme c'est vendu sur la quatrième de couverture (laissez-moi rigoler un peu, le mot "dystopie", vous connaissez?) qui imaginait l'élection de Marine Le Pen au poste de Présidente de la République française en 2017 et le déroulé de son premier mandat (on va prier pour que ça reste une uchronie, hein?), où évidemment on croise des figures bien connues -et parfois moins bien connues- de la politique et de la culture françaises, au même titre que des personnages totalement fictifs qui sont censés représenter des anonymes pris dans le tourbillon des forces historiques auquel le lecteur peut s'identifier, selon le procédé bien connu du roman historique mis en place par Walter Scott dans Waverley, entre autres. Le but avoué de l'ouvrage était bien évidemment de nous faire réfléchir sur les thèmes chers au Front National (le racisme, les questions identitaires, la sécurité...) mais aussi, et c'est plus intéressant, montrer comment les politiques (non fictionnelles) mises en place dans le cadre de l'état d'urgence par le gouvernement de François Hollande ouvrent une voie royale à la droite réactionnaire et à l'extrême-droite, justement.
Les ambitions sont donc louables. Malheureusement, c'est tout le reste qui pèche. En voulant surfer sur l'envers de la vague "Bleu Marine", c'est-à-dire la peur qu'elle crée chez à peu près tout le reste de la sphère politique et qui est attisée par les médias, les auteurs ont tellement bâclé leur copie que tout le bien qu'un tel ouvrage aurait pu faire est réduit à néant. On a l'impression pénible, à la lecture, que tout a été fait dans l'urgence: construction des personnages caricaturale au possible (qui du coup rend toute identification impossible, même avec les personnages fictifs), grossissement du trait dans les mesures prises par l'état avec la transformation de la France en état quasi-totalitaire du jour au lendemain (ou presque), rebondissements assez peu crédibles, dialogues qui sonnent tous extrêmement faux (on a l'impression que les personnages récitent un texte, par ailleurs mal écrit)... Et le dessin est pire que tout: je soupçonne le dessinateur d'avoir simplement pris des photos qu'il aurait passé à 2-3 filtres Photoshop avant de faire des mauvais montages et de rajouter des détails par-ci, par-là. Le pire c'est qu'il est malgré tout tellement mauvais que même si on identifie les photos comme base, les personnages ne se ressemblent pas du tout la plupart du temps (mention spéciale à Marion Maréchal et Eric Zemmour, TMTC). Et le reste est à l'avenant! L'encrage est brouillon, le lettrage est grossier, les bulles ont été faites par un enfant de 8 ans avec du blanco, et je pense même que l'absence de couleur n'avait pour but que de sortir la bande-dessinée au plus vite pour capitaliser sur le buzz.
Ce qui m'attriste, c'est qu'avec un sujet comme ça on aurait pu avoir une bonne bande-dessinée, intelligente, fine, bien dessinée (même de façon non réaliste, ce n'est pas important, regardez Quai d'Orsay par exemple), mais qu'à la place on a eu cette bouse. Et comme cette bouse existe, elle révoque de fait la possibilité d'une vraie œuvre du neuvième art sur le même thème. Rien que pour cela, à mon avis, elle fait largement plus de mal que de bien.