War zone
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BD franco-belge de Kid Toussaint, Alessia Martusciello et Alberto Aurelio Pizzetti (2021)
« Tous différents », le premier tome de la série Absolument normal, se place à hauteur d’enfants pour sonder la tolérance et l’ostracisme. On y suit le parcours de Cosmo, un lycéen marginalisé par les institutions (dont l’école) en raison de sa banalité…
Cosmo Coreman est un jeune lycéen de treize ans tout ce qu’il y a de plus banal. De prime abord, rien ne permettrait de le distinguer de ses pairs, si ce n’est peut-être sa propension à se montrer dévoué. Cependant, dans l’univers façonné par Kid Toussaint, Alessia Martusciello et Alberto Aurelio Pizzetti, c’est précisément sa normalité qui l’empêche d’« envisager un avenir prometteur ». Dans un complet retournement des normes, Absolument normal lie en effet l’absence de spécificités mutantes à une forme d’imperfection. La fiche d’identité de Cosmo, insérée au verso de la couverture de l’album, stipule qu’il « n’a aucun mal à sociabiliser avec ses camarades malgré son handicap ». Les dés sont déjà jetés : dans un monde où les individus apparaissent augmentés, l’humanité la plus commune s’apparente à une tare. Kid Toussaint voudrait nous rappeler que la normalité est un concept relatif et arbitraire qu’il ne s’y prendrait pas autrement. C’est évidemment l’une des principales clefs de lecture de ce premier tome intitulé « Tous différents ».
Pour appréhender la teneur d’un monde caractérisé par la différence, il suffit de se reporter à la première planche de l’album : une professeure dotée de deux paires d’yeux enseigne les mathématiques à une classe composée d’un ersatz d’Albert Einstein, d’une lycéenne à deux têtes, d’une autre en lévitation ou encore d’une créature ressemblant vaguement aux extraterrestres de Mars Attacks !. Pour Cosmo, les choses ne sont pas simples : limité dans ses capacités physiques et intellectuelles, privé de tout super-pouvoir, il peine à rivaliser avec ses camarades et subit par conséquent les récriminations de ses professeurs, qui se moquent bien de savoir qu’il n’a pas les mêmes opportunités de réussite que les autres. C’est injuste, mais c’est ainsi : dans une société de la performance où tout apparaît formalisé et mathématisé, le moindre handicap vous renvoie à des formes d’ostracisme qui ne disent pas leur nom.
C’est ainsi que deux agents gouvernementaux viennent à la rencontre de la mère de Cosmo. Ils lui exposent le plan Nouvel horizon, qui vise selon eux à augmenter les chances d’insertion sociale des jeunes aux pouvoirs atténués, voire inexistants. « Dans sa condition, [Cosmo] n’a que 23,6% de chances d’atteindre ses 18 ans. » Argument massue. Suffisant en tout cas pour que le jeune héros rejoigne un centre fermé à mi-chemin de la prison et de la caserne militaire : dortoirs, gardiens, clôtures, travaux physiques, visites tolérées mais de manière trimestrielle, livres interdits, tests médicaux imposés (IRM, biopsie, greffe…). On apprendra bientôt que 29,43% des enfants fréquentant le centre finissent par y décéder et que seuls 5,82% parviennent à y améliorer leurs capacités. La caractérisation des deux agents aperçus plus tôt prend alors tout son sens : le premier est un homme sans visage, symbole de désincarnation, d’opacité et de duplicité, tandis que le second arbore une figure ornée de formules mathématiques, qui semble corroborer une gestion de la société purement comptable et déshumanisée.
À l’extérieur du centre, l’opposition est en marche. Mérida, la sœur de Cosmo, organise des pétitions et des manifestations réclamant la réintégration de son frère à l’école. Mais rien n’y fait. À l’intérieur de l’établissement, les « fardeaux », conscients du danger qu’ils encourent, organisent leur évasion. Et c’est une nouvelle leçon dispensée par Kid Toussaint : pour se dresser contre un pouvoir oppressif, le courage et la réflexion valent parfois davantage que la force. Un expulseur d’insectes, un télépathe raté et une gamine dont le seul pouvoir consiste à se téléporter dans un rayon de 50 centimètres parviennent avec quelques amis à déjouer la sécurité du centre. Différents parmi les spéciaux, ces jeunes protagonistes témoignent d’une conscience politique inversement proportionnelle à leurs pouvoirs.
Bien que la structure des planches demeure classique, la dimension graphique de l’album donne satisfaction. Très colorées, les vignettes alternent souvent les gros plans et les dessins d’exposition. La caractérisation d’un univers où les super-pouvoirs sont monnaie courante permet à Alessia Martusciello et Alberto Aurelio Pizzetti de donner libre cours à leur inventivité. L’aspect chromatique est intéressant à plus d’un titre, puisqu’au-delà des reflets ou des filets de lumière aux effets travaillés, on note que les planches prenant pour cadre le centre fermé arborent des teintes désaturées, notamment à la faveur de certaines cases où le gris prédomine. Enfin, quelques facéties investissent l’album çà et là. On pense notamment aux triplés dont les t-shirts sont respectivement floqués des mots « un », « deux » et « trois », à la formule récurrente « Je suis sympa » ou à la fiche d’identité corrigée en appendice du récit.
Sur Le Mag du Ciné
Créée
le 12 févr. 2021
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