Transperceneige : L'Intégrale par AntoineRA
Le Transperceneige est une des ces bandes-dessinées françaises considérées comme cultes en nos contrées. Tout d'abord vis-à-vis des thèmes sociaux qui y sont déployés, mais également, à l'instar de la série Métal Hurlant, pour sa représentation remarquable d'un univers de science-fiction tout à fait singulier. Après moult années de stand-by, l'adaptation cinématographique ayant enfin été mise sur rail, je me suis finalement décidé à me plonger dans ces pages, histoire de voir de quoi il en retourne vraiment.
TOME 1 : L'Échappé
Évidemment, si l'on a été abreuvé de science-fiction depuis plusieurs années, les évènements du Transperceneige n’apparaissent pas si novateurs, contrairement à l'époque de leur sortie (1984). Un monde post-apocalyptique suite à une guerre quelconque, ravagé par un hiver mortel et éternel, et seulement parcouru d'un train immense qui abrite les dernier survivants de l'humanité : le Transperceneige.
On retrouve donc les défauts inhérents aux bande-dessinées d'il y a trente ans, à savoir des situations résolues en un tour de case, des explications et résignations des personnages en l'espace d'une bulle, des scènes de tensions rendues par des "il ne faut pas qu'ils nous voient", et autres dialogues très succincts pour tout ce qui est des résolutions de conflits et excuses. L'avantage à cela, toute une histoire qui prendrait, actuellement, dix tomes pour faire traîner les choses (et les ventes) tient en 120 pages, mais ce n'est malheureusement pas pour cela qu'on aura toutes nos réponses. Beaucoup de situations sont présentées, et l'on découvre l'univers qui se déroule exclusivement dans un train avec des wagons de culture, des wagons pour les riches, d'autres pour les pauvres, des wagons de production, etc... une vraie société sur rails, mais notre curiosité n'est pas vraiment rassasiée quand l'on atteint les dernières pages. Et c'est un peu dommage.
Pour ce qui est du dessin de Rochette, son noir et blanc ne perturbe pas ; plusieurs BDs actuelles adoptent encore ce style (Walking Dead et Blast parmi d'autres). Qui plus est, ce choix de (non) couleurs est tout à fait propice au positionnement de l'action, c'est à dire un environnement enneigé à perte de vue et le ciel obstrué par les nuages. Ainsi, les paysages sont désertiques, étendues blanches à perte de vue, et les cieux sont noirs, impassibles, et hostiles pour l'humanité. L'absence de couleur enlève une quelconque chaleur et nous plonge directement dans cet environnement dystopique. À sa sortie, le trait de Rochette n'a pas dû perturbé les lecteurs, mais de nos jours, on sent qu'il date quelque peu. Les visages sont parfois grossiers et (trop) expressifs tant ils sont difformes, et les mises en scènes demeurent assez banales, sans trop de jeux de lumière ni de perspectives ; aucune planche qui ne fasse se décrocher la mâchoire. Il faut dire que le principal de l’œuvre passe dans son histoire. Mais l'on constate tout de même ce côté poisseux et déshumanisé dans les dessins. .
TOME 2 : L'Arpenteur
Quinze après la publication du premier tome du Transperceneige, Jean-Marc Rochette, délesté du chef penseur du projet Lob, malheureusement décédé en 1990, fait équipe avec Benjamin Legrand, pour mettre sur rails une nouvelle histoire de ce train bravant glace et neige, dernier rempart de l'humanité.
Mais, dès le début, ce deuxième tome surprend par sa différence avec le premier, dont on n'arrive guère à saisir le lien les reliant, si ce n'est le lieu de l'action : un train lancé sur une terre morte et givrée.On s'attendait même à revoir le protagoniste, Proloff, et sa nouvelle condition révélée dans les ultimes pages du tome précédent, mais non, ce sont des personnes bien différentes qui nous sont présentées. Comme dans la "vraie vie", quinze ans se sont écoulés dans ce monde hostile, et pourtant, l'intrigue va suivre un cheminement presque similaire : un homme quelconque va remonter le train des derniers wagons jusqu'à locomotive et en découvrir ses secrets. Sur moins de pages toutefois, et l'optique science-fiction davantage prononcée, dans une registre plutôt similaire à Alien sur les phases d'explorations en scaphandre, alors que le tome initial était plus concentré sur l'aspect socio-politique des passagers.
Une approche quelque peu différente donc, qui permet d'entretenir un certain mystère, tout en continuant d'attiser la curiosité. Et pour cela, on retrouve la patte de Rochette qui a bien changé en l'espace de ces années. Son dessin prend des tournures plus crayonnées, jouant avec les lumières et les ombres, ce qui permet bien mieux rendre justice à cet univers cauchemardesque et éthérée. En effet, ce côté un peu fantomatique dans les traits est plus judicieux, et galvanise cette autre réalité. Pareillement, ses mises en scène sont plutôt bien étudiées et donnent de la pertinence au récit.
TOME 3 : La Traversée
Sorti un an plus tard, ce troisième tome est cette fois-ci dans la continuité directe du deuxième, reprenant l'intrigue là où Benjamin Legrand l'avait laissée et éclaircissant également quelques mystères restés en suspens. Néanmoins, au bout de quelques pages, l'on se rend assez vite compte que le scénariste semble improviser son histoire. De nouvelles fausses questions sont soulevées pour servir d'objectif aux personnages, et l'intrigue ne se révèle pas vraiment aboutie. Après lecture de ces 70 pages, on a l'impression de ne pas voir vraiment avancé dans l'univers du Transperceneige. Et c'est frustrant, vraiment, car il y avait tellement de pistes possibles à exploiter pour étendre la mythologie de cette bande-dessinée, plutôt que de s'enliser dans une fausse intrigue qui, de plus, n'est guère intéressante. Le plus décevant est sans doute de ne pas avoir de conclusion potable et de laisser nos personnages en l'état. On se ravira, par contre, du retour des vers et rimes en début de chapitres, comme dans le premier tome, qui contribuent à apporter un aspect cauchemardesque au récit.
En ce qui concerne l'apport imagé, Rochette a quelque peu modifié son style, et ce n'est pas en mieux. Gardant son évolution ultérieure, il se tourne davantage vers un trait esquissé sur cet ultime tome, extrêmement simplifié en comparaison du deuxième. Les nuances de gris sont moindres laissant un contraste primaire, tandis que les perspectives apparaissent plus plates et que le niveau de détails sur les visages, comme sur l'ensemble de l'environnement, a considérablement régressé. Manque d'inspiration ou faible motivation de continuer à participer à une histoire qui tire un peu la gueule alors qu'elle avait de quoi s'étendre en une mythologie glorieuse ?
De culte, finalement, il n'y a réellement que le tome 1 qui a su, à son époque, frapper un grand coup dans l'imaginaire de ses lecteurs en proposant un contenu réfléchi mais également une illustration atypique. Et m'est avis que l'adaptation cinématographique du sieur Bong Joon-ho se contentera essentiellement de piocher dans celui-ci. Bien que l'on découvre, dans le second tome, des évènements redoutables d'inventivité et des plus intéressants qui peuvent s'avérer indispensables à la création réaliste du monde post-apocalyptique de cette œuvre de science-fiction, et surtout offrir des visuels marquants en prime d'un fond assez mystérieux. La tentative finale de prolonger l'histoire du Transperceneige, toutefois, n'a guère d'intérêt à moins qu'une conclusion de choix lui soit réécrite.