D’abord l’aspect général : dans un format italien (15,5 x 22,6 cm), cet album compte 2 x 46 = 92 planches, chacune avec un seul dessin. La couverture présente l’un d’eux légèrement agrandi et sans texte. Succinct, le texte se lit dans des bulles aux formes géométriques. Ici, le personnage appelle un taxi en criant Hep ! (interjection située dans un énorme parallélépipède rectangle dont le point d’exclamation dépasse). Maintenant, regardez-bien le personnage (au besoin, agrandissez l’illustration de couverture). Sa silhouette humaine est rendue par une série d’anneaux (bandelettes), qui le font comparer à une momie. Ceci dit, chaque anneau semble complètement indépendant des autres (obsession du dessinateur qui applique également ce principe à des objets), ce qui donne une curieuse impression. Assez représentatives de l’album, les couleurs de la couverture mettent en valeur un site, avec des couleurs dans des tons plutôt vifs et des contrastes étonnants dus à un usage particulier de la ligne claire. A ce propos, j’ai découvert tremblez enfance Z46 au festival BD 2018 de Colomiers. Une fois mon œil attiré, après avoir un peu tourné autour puis fait l’achat, j’ai obtenu les informations suivantes auprès de la personne du stand des éditions Tanibis : l’auteur signe emg en référence à Hergé (RG : Rémi Georges) et la ligne claire, ce qu’un détail confirme : présence discrète de Tintin et Milou qui descendent anonymement d’un train (planche 14 de la première partie). Dans l’ensemble, les dessins pas trop fouillés donnent une bonne lisibilité qui met en valeur des détails comme celui-ci. Autre information éditeur : l’album a été entièrement conçu informatiquement. L’album présente un univers aux formes géométriques.
Parlons maintenant du scénario. Autant dire qu’en première lecture, arrivé à la fin, j’étais déçu par la deuxième partie. Pour comprendre l’organisation générale, il faut remarquer qu’au milieu de l’album, les deux planches en vis-à-vis portent le même numéro 46. En feuilletant l’album de façon classique, la numérotation va de la planche 1 aux planches 46 pour revenir en fin d’album à une autre planche numérotée 1. Pour une lecture correcte, il faut prendre la deuxième partie à partir de la fin. On comprend alors comment les deux parties se font écho. Dans la première, Hicham rêve (rêve prémonitoire ?) que Wassila vient le rejoindre. Il lui téléphone pour lui en parler : il aurait reconnu un lieu. Là, il y aurait un passage. Ils conviennent de s’y retrouver. Après quelques péripéties à l’atmosphère onirique et des détails qui font sourire (le départ des trains façon course hippique et le métreau), Hicham arrive à destination et finit par trouver ce qu’il cherchait : une porte dans un mur. De nombreux détails donnent à penser qu’il s’agit d’un poste frontière condamné. Hicham (silhouette masculine) appelle Wassila (silhouette féminine) qui devrait être de l’autre côté. Quand on lit l’autre partie dans le sens adapté, quelques détails apportent une meilleure compréhension de l’intrigue et on suit le parcours tout aussi étrange de Wassila, dont un malaise explicité par une déformation géométrique.
Reste l’interprétation de l’ensemble. Le dessin des personnages pose question. Mon hypothèse serait que l’auteur évoque une situation conflictuelle entre deux états, avec frontière infranchissable. Dessiner les personnages ainsi peut relever d’une simple fantaisie de l’auteur. Je préfère y voir une forme d’avertissement vis-à-vis de l’évolution de nos sociétés où la technologie investit jusqu’à la sphère privée. L’avertissement serait qu’en poursuivant sur cette voie, les humains risquent de devenir des sortes de zombies enfermés dans la dictature de la robotisation (robots très présents, surtout dans la première partie, notamment à la maison et au travail où Hicham est surveillé alors qu’il commet une maladresse en prenant une caisse sur le tapis d’une chaîne, usine alimentaire probablement). Dans cet univers hyper-contrôlé, la plupart des animaux (sauf une pieuvre et un requin) prennent des formes plates, comme si tout cela n’était qu’un mauvais rêve. Très présents dans la deuxième partie, les animaux côtoient aussi des sortes de jouets mécaniques.
92 cases en tout et pour tout ! Dans ces conditions, chaque détail devrait être significatif. Or, j’en doute. Il faut donc se méfier d’une interprétation trop tranchée en prétendant avoir tout compris. Ainsi, même le titre prête à confusion. Si on a tendance à lire « tremblez enfance Z46 » cela pourrait être « tremblez enfance 246 ». Peu importe puisqu’on ne voit aucun enfant dans cette BD. Alors, pourquoi cet avertissement ? J’y vois un détail qui pourrait confirmer mon hypothèse d’interprétation. Tremblez, générations futures ! Si nous poursuivons sur la voie de la robotisation, votre espace de liberté diminuera inexorablement.