A trop idéaliser l’amour que chacun recherche depuis l’adolescence, ne finirait-on pas par s’en casser les dents ? Dernièrement, les auteurs de BD sont plutôt bavards, sur leurs vies sentimentales. Entre Scott McCloud qui resta secrètement amoureux de sa future femme pendant sept ans, et Daniel Pennac qui enchaîna les copines improbables et invivables, on peut dire qu’ils sont les premiers à plaindre. Du coup, on peut parfaitement comprendre qu’ils aiment inventer des histoires d’amours passionnées, éternelles et fusionnelles. Sauf que celle dont parlent Daniel Pennac et Florence Cestac dans le one-shot « Un amour exemplaire » publié en avril est authentique. Et laisse donc d’autant plus rêveur.
Scénario : Jean était fils de marquis. Germaine d’un milieu plutôt populaire. Ils ont tout plaqués pour vivre ensemble dans une maison de gardien pendant plus de quarante ans. Un amour sédentaire, et qui n’était terni ni par le travail, ni par des enfants. C’est bien simple, ils prenaient tout en dérision : Germaine admettait avec le sourire la laideur de son mari, tandis que ce dernier riait des plats systématiquement ratés de sa femme. Daniel Pennac était fasciné par ce couple atypique et passait les vacances de son enfance auprès d’eux, sur la Côte d’Azur.
Dessin : Florence Cestac est une dessinatrice dont le style n’a pas changé d’un poil depuis bien longtemps. Mais reste encore aujourd’hui d’une efficacité et d’une fraîcheur à toute épreuve. Ses gros nez qu’on reconnaîtrait entre mille, elle a pourtant dû en changer un peu la recette pour le personnage de Jean, plutôt « bec d’aigle ». Pour le reste, les postures de ses personnages sont toujours aussi justes, ses décors qui paraissent fouillis au premier abord marchent aussi très bien… Et la mise en couleur est remarquable. Pour un amour exemplaire, des dessins exemplaires.
Pour : Quelques anecdotes irrésistibles, cocasses et pourtant vraies. A commencer par la bibliothèque que le couple possédait en double : les éditions originales qui leur servaient de gagne-pain se trouvaient dans le salon et la cuisine, tandis qu’à la cave étaient rangés leurs éditions récentes, pour la lecture personnelle. Pennac et Cestac s’accordent de plus quelques fantaisies drôles et jubilatoires, bien qu’un peu moins authentiques, comme ce curé atteint du syndrome de la Tourette et insultant violemment sa voisine au bridge.
Contre : S’il est pertinent de mettre en scène Daniel Pennac enfant écoutant avec délectation l’histoire de ce couple, il est beaucoup plus inutile d’avoir mis en scène comme autre fil conducteur la rencontre entre les deux auteurs dans un bar pour discuter du projet de cette BD. La scène d’introduction et celle de fin aurait amplement suffi pour raccorder le tout.
Pour conclure : Décomplexé, le ton de cet album est en parfaite adéquation avec l’état d’esprit de Jean et Germaine. Néanmoins, Pennac et Cestac n’oublient pas de leur rendre un hommage solennel en fin d’album. On aurait seulement voulu une photo du couple avant de les quitter, mais tant pis. Le lecteur s’attache au final instantanément à ces deux personnages presque mythiques, preuve tangible que l’amour parfait existe.