Un avion sans elle
7.1
Un avion sans elle

BD franco-belge de Fred Duval et Nicolaï Pinheiro (2021)

Imaginez un crash aérien auquel ne survit qu’un bébé miraculé. Son identité demeurant incertaine et les tests ADN étant toujours à l’état de gestation, deux familles endeuillées se disputent la garde de l’enfant. C’est à la justice de trancher : qui, des Carville, industriels de renom, ou des Vitral, restaurateurs ambulants, peuvent légitimement se revendiquer parents du nourrisson ? Comme si les choses n’étaient pas assez compliquées en l’état, les Carville usent de leur réseau pour influencer le juge Jean-Louis Le Drian, qui, suspecté de connivences, doit démissionner. Ils engagent aussi un détective privé, Crédule Grand-Duc, qu’ils paient une fortune pour trouver de nouveaux éléments permettant de percer le mystère à jour.


Cette version dessinée d’Un avion sans elle s’ouvre justement par un Crédule Grand-Duc au bord du suicide, tentative avortée en raison de nouvelles informations glanées par hasard, en consultant un vieux journal. Durant les quelque 170 pages qui suivent, Fred Duval et Nicolaï Pinheiro vont nous balader à travers un faisceau d’informations, de rebondissements et de fausses pistes jusqu’à la découverte de la véritable identité de « Lylie » – contraction de Lyse-Rose (Carville) et d’Émilie (Vitral). Le rythme est bien géré, les personnages suffisamment étoffés et le mystère intact d’un bout à l’autre de l’album. En cela, Un avion sans elle constitue une réussite assez largement supérieure à l’adaptation télévisée (dont l’histoire diffère beaucoup).


Le récit ne vaut pas seulement pour les ombres qui pèsent sur l’unique survivante du vol 5403 Istanbul-Paris. Un avion sans elle fait s’entrechoquer deux familles issues de milieux socioculturels très différents. On verra les Carville chercher à acheter « Lylie » aux Vitral, mentir par omission au sujet d’une gourmette, se fourvoyer dans le crime et la corruption, mais surtout manipuler une gamine, Malvina (la sœur putative de « Lylie »), jusqu’à la rendre folle. En opposition, et cette lecture est facilitée par le récit prédominant de Crédule Grand-Duc (à travers un carnet de notes d’une centaine de pages), les Vitral, modestes vendeurs de frites à Dieppe, semblent simples, presque ingénus, et surtout victimes de la puissance financière de l’autre partie.


L’histoire fonctionne aussi grâce aux ambiguïtés du détective privé, à la justesse de la relation entre Marc et « Lylie » (qui se sentent étrangers au point de s’abandonner à leur amour) ou à ces pèlerinages annuels au mont Terrible, vecteurs d’éléments nouveaux. Graphiquement, il y a peu à redire sur le travail de Nicolaï Pinheiro. La palette chromatique (avec des couleurs différenciées selon la narration adoptée), la mise en planche, l’expressivité du trait contribuent à la qualité d’ensemble de l’album. Certains jeux de postures (par exemple lors de la rencontre entre les deux grands-mères) renvoient directement aux relations ou aux rapports de force entre les protagonistes. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’une tenancière de café le verbalise clairement au début du récit.


Malgré un attrait réel, cette bande dessinée nous apparaît parfois lacunaire. La caractérisation des deux familles peut sembler partiale, au point d’en devenir quelque peu caricaturale (surtout dans le chef de Léonce de Carville, même s’il est ensuite humanisé par deux attaques cérébrales). Ce dernier assènera notamment : « Si le bébé pouvait choisir, je vous assure qu’il n’hésiterait pas entre l’avenir que je lui offre et l’odeur d’huile de friture des Vitral ! » À l’opposé, à Dieppe, on fêtera simultanément le sacre de François Mitterrand et une décision de justice favorable aux Vitral… Quant à Malvina, elle est d’abord dépeinte comme une sorte de monstre, traumatisée par des procédures judiciaires auxquelles elle n’était pas prête, mais elle alterne finalement entre des phases de repli apathique et des comportements « normaux », ce qui fait d’elle un personnage difficile à cerner. Des bémols auxquels s’ajoute une fin un peu trop facile, mais qui ne gâchent pas, heureusement, l’essentiel de l’album.


Sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
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le 4 juin 2021

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