Dans la peau de l'ours
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Si l’ « Art brut » est apparu au vingtième siècle, il a toujours existé, c’est juste le terme qui a été inventé par ceux qui l’ont fait connaître, au premier rang desquels Jean Dubuffet. L’art brut, c’est un art singulier, l’art des anonymes, des « fous » et des parias, l’art de ceux qui n’ont pas fait les Beaux-arts et vivent leur art instinctivement, sans élaborer de plans de carrière. Cet ouvrage se veut un panorama historique d’un domaine artistique aussi méconnu que fascinant.
Voilà bien un ouvrage pour le moins déconcertant qui laisse une impression mitigée, dans la mesure où il comporte autant de qualités que de défauts. La première de ses qualités est bien sûr de faire mettre en lumière cette forme d’art, qui reste encore inconnue du grand public. Et pourtant, tout le monde a entendu parler du facteur Cheval et de sa propriété devenue musée à sa mort. Aujourd’hui, de nombreux musées ont ouvert leurs portes à l’art brut, il existe même à Lausanne un lieu dédié (Collection de l’art brut), l’un des plus anciens où se trouve réunie la collection de Jean Dubuffet. A Paris, c’est la Halle Saint-Pierre qui en est le principal promoteur.
Bref, d’un point de vue graphique, l’ensemble est assez inégal, s’articulant autour de trois axes : un crayonné bleuté, un peu sec à mon goût, pour les dialogues entre la jeune étudiante aux Beaux-arts et les 3 fantômes de Hans Prinzhorn, Jean Dubuffet et Harald Szeeman, un encrage noir et blanc pour les biographies d’artistes et la couleur pour évoquer leur art.
Ce n’est pas tant le dessin en soi qui est critiquable, mais celui-ci pâtît le plus souvent d’une mise en page décousue, comme si Oriol Malet, en évoquant l’art brut, avait oublié qu’on était ici d’abord sur de l’art séquentiel, concept cher à Will Eisner… Alors certes, elle est très libre cette mise en page. Certaines planches sont parfois très jolies et font honneur au sujet, mais cette liberté s’exerce au détriment de la clarté. Et c’est bien ce qui pose problème ici, laissant au lecteur une impression de fouillis, avec trop de ruptures, où parfois deux fils narratifs tentent de cohabiter sans vraiment y parvenir. Les textes tendent à être trop abondants et parasitent inutilement la partie dessinée — provoquant quelques bâillements chez le lecteur, qui à la page suivante, pourra en revanche tomber en arrêt devant une planche pleine page où s’exprime toute la fantaisie de son auteur.
« Un monde d’art brut » n’est pas pour autant à jeter aux orties et possède même un potentiel de séduction — soulignons que l’annexe en fin d’ouvrage présentant une sélection d’œuvres donne une valeur ajoutée à l’objet —, mais ce manque d’unité échoue donc à en faire un ouvrage marquant, malgré la sincérité que l’on perçoit chez ses auteurs. Pour mieux découvrir l’art brut à travers le neuvième art, on privilégiera largement la lecture de l’excellent « Enferme-moi si tu peux » d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg.
Créée
le 28 févr. 2022
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