Un peu de bois et d'acier par jerome60
C’est l’histoire d’un banc. Un banc qui regarde passer les gens. Certains s’arrêtent et s'assoient, d’autres l’ignorent royalement. Des gens âgés, des plus jeunes, des amoureux transis qui attendent leur belle, des lecteurs, des musiciens, un SDF qui vient de temps en temps lui tenir compagnie la nuit venue… Des gens qui se croisent sans se regarder et un banc qui, au fil des saisons et des années, demeure un spectateur aussi silencieux qu’attentif…
336 planches en noir et blanc et sans texte, il fallait oser. Chabouté le reconnaît, s’il n’avait pas depuis quelques années acquis une certaine notoriété, jamais son éditeur n’aurait accepté de publier un album pareil. Autant le dire tout de suite, je n’étais pas chaud pour me lancer dans cette lecture et si je ne l’avais pas croisé à la médiathèque je ne me serais jamais laissé tenter. J’avais peur de l’exercice de style, de la démonstration graphique froide, sans âme et surtout sans intérêt. Pour le coup mes aprioris se sont révélés totalement faux. Chabouté parvient à raconter quelque chose en laissant sa caméra posée face à ce banc sur des centaines de pages. Des petits riens qui, mis bout à bout, forment un tout. Les personnages passent, disparaissent, reviennent et évoluent (avec une mention spéciale pour le policier municipal). Aucun des procédés habituellement utilisés pour nourrir une intrigue ne sont présents et pourtant cette apparente futilité m’a beaucoup parlé. C’était d’ailleurs une volonté affichée dès le départ : « Je voulais un récit à la Tati, capable de rappeler à quel point l’inutile et le quotidien peuvent être beaux pour peu qu’on les regarde d’un œil attentif. » (interview casemate)
Graphiquement c’est toujours aussi fort. Plutôt que de proposer un seul et interminable plan fixe sur le banc, Chabouté ne cesse de tourner autour, utilisant les cadrages somptueux et variés qui sont sa marque de fabrique. Pour une fois, les blancs sont davantage marqués que les noirs et les décors sont réduits au strict minimum, sans doute pour donner au jardin public où se trouve le banc un coté universel dans lequel chaque lecteur pourra projeter ses propres références.
Une bien belle surprise donc. Pas un chef d’œuvre du niveau de Tout seul mais je m’attendais à beaucoup moins bien et j’avoue sans honte que mes aprioris n’avaient finalement aucun fondement. Il faut savoir le reconnaître quand on se trompe…