«OK».


Je ne vous cite pas présentement la réplique iconique du personnage principal de One-Punch Man mais porte simplement à votre connaissance quelle fut ma réaction à la lecture du manga. «OK».
Deux lettres pour gratifier ce fétiche éditorial de la deuxième moitié de la décennie 2010, c'est déjà beaucoup de ma part. Peut-être aurais-je pu éventuellement pousser la générosité jusqu'à cinq lettres. Toutefois, la vulgarité ne figurant pas habituellement à mon registre, je m'efforcerai de rester courtois aussi longtemps que je continuerai d'esquisser les contours de l'œuvre.
Notez que je ne promets rien.


Yusuke Murata aux dessins. Il avait, en des temps plus heureux, prêté sa plume à l'astucieux Riichirô Inagaki. De cette union en avait alors résulté Eyeshield 21, succès critique et éditorial qui, à contrario de One-Punch Man, aurait mérité de rester dans les esprits. Non pas qu'il soit tombé bêtement dans l'oubli, mais plutôt malencontreusement resté dans l'ombre de plus gros succès encore de l'époque qui, pour certains, sévissent encore à ce jour.
N'étant pas homme à s'engager dans la laborieuse écriture d'un script, Murata proposa cette fois ses talents à ONE, auteur autodidacte dont la technique au pinceau n'était pas parvenue à séduire les foules jusqu'à lors.
One-Punch Man se voulant -paraît-il - drôle à ses heures perdues (et introuvables), je rigole déjà à gorge déployée sans même que la première page n'ait été effleurée par ma critique. Il aura fallu qu'ils se liguent à deux pour produire ceci. Rien que cette idée ne manquera jamais de m'esclaffer. Car pour nous offrir quelque chose d'aussi peu recherché, une paire de mains et un demi encéphale suffisaient amplement.


Le ton est très vite donné et annonce le manga tel que mes contemporains me l'ont présenté ; un Seinen parodiant et se gaussant des défauts propres aux Shônens de combat conventionnels dont j'ai arpenté et écumé les milliers de pages ces mois derniers. C'est ainsi que One-Punch Man se présente et pourtant, un regard un tant soit peu avisé notera rapidement qu'il y a erreur sur la personne.
Que One-Punch Man se présente sous le revêtement d'une parodie tient de la mascarade de mauvais goût. La tromperie est manifeste mais une curieuse mystification s'est emparée de l'esprit de ses lecteurs ; sous couvert de parodie de Shônen, One-Punch Man nous soumet en réalité ce Shônen même qu'il prétend railler.


Rien que le premier chapitre est édifiant. Plus encore que de chercher à apparaître sous les traits de la satire, ce Seinen qui n'en est pas un force l'aspect décalé afin de sembler sortir des sentiers-battus. Plutôt que simplement laisser la narration présenter le cadre de l'œuvre au lecteur, ONE les gratifie de dialogues dépourvus de la moindre forme de subtilité. Ainsi, Saitama insiste pour rapporter qu'il n'est un héros que pour s'amuser, son complice sur scène et ennemi pour ce chapitre rétorquant alors ostensiblement «Quoi ?! Mais quelle origine ridicule», comme cherchant à mettre ses mots dans la bouche du lecteur de sorte à ce que ce dernier y croit.
L'entrée en matière est vaudevillesque, l'impact de l'humour en moins. Les personnages ont beau ne pas être fait de chair et de sang mais d'encre et de papier, je ne peux m'empêcher à la lecture de ce premier chapitre de trouver que tout cela est surjoué.


One et Murata n'ont pas naturellement donné vie à leur œuvre ; cette dernière a tout de l'artificiel. Spécieuse sans être franchement ragoutante, la création des auteurs s'engage à susciter une réaction spécifique chez son lecteur plutôt que de se contenter d'être elle-même. À l'instar d'un Hellsing (un exemple parmi tant d'autres), le manga suit ici une recette commerciale. Un chapitre aura suffi à m'en convaincre, One-Punch Man n'est pas un concept artistique novateur mais une opération marketing réfléchie comme telle.
Ce qui suivra ne contribuera qu'à me conforter dans cette thèse prenant peu à peu la dimension d'une vérité révélée.


One-Punch Man doit ouvertement s'annoncer comme une parodie pour que le manga soit compris comme tel. Un peu à la manière d'un film dramatique où les acteurs en feraient des tonnes pour se déverser en des torrents de larme, répétant «comme c'est triste» à l'envie pour espérer que le spectateur comprenne qu'il contemple un drame. ONE et Murata doivent forcer copieusement le volet caricatural afin d'espérer se faire comprendre. Or, ça ne prend pas. La méthode est d'ailleurs si insincère qu'elle joue contre les auteurs. Le procédé est même si grossier qu'il saute aux yeux : One-Punch Man n'est pas une œuvre parodique, mais une composition qui s'espère parodique.
Ses espoirs des premiers jours, ils s'effaceront bien vite au profit d'une facilité narrative et scénaristique plus conséquente encore.


Car la facilité, on baigne dedans au point de s'y dissoudre.
En dehors de quelques truismes et autres enfoncement de portes ouvertes, One n'incise pas là où il serait pertinent de trancher. Des mangas qui parodient le genre, il y en a eu ; et eux faisaient le travail. De Bobobo-bo-bo-bobo à Gintama, les exemples ne manquent pas. Des exemples dont les auteurs n'ont manifestement pas pris la peine de s'inspirer ; car dès lors où il s'agissait de frapper là où ça fait mal, eux visaient juste et faisaient mouche.
Parodier requiert du doigté et du talent, ce n'est pas juste l'affaire de mettre en exergue les défauts les plus patents de ce que l'on satirise et répéter le processus ad nauseam en espérant provoquer le rire. Du point de vue de la pertinence satirique comme du point de vue de l'humour, One-Punch Man est un échec de premier ordre.


Quand tout le ressort humoristique - à quelques notoires exceptions - ne repose que sur le personnage principal et que celui-ci n'a qu'un gag à son répertoire, on trouve vite le temps long. Ce Saitama, ce héros faussement gauche, au-dessus de tout, si bien qu'il tue dans l'œuf tout enjeu qui peut naître de l'adversité, n'a en réalité qu'une seule corde à son arc. Sa raison d'être et l'intégralité de son propos tient dans le titre de l'œuvre dont il est le héros.
Piégé entre cette fausse légèreté de ton et ce sentiment de décalage artificiel qui ne visent qu'à masquer ce qu'est One-Punch Man en réalité - à savoir, un Shônen-lambda - le lecteur, pour peu qu'il ait des yeux pour voir, ne pourra aboutir qu'à une conclusion simple.
Si One-Punch Man est effectivement une parodie car s'acceptant comme telle, il n'est qu'une parodie de lui-même.


Une parodie sait moquer, tourner en dérision. Pourtant, passé les premiers chapitres, l'œuvre incarne ce qu'elle prétendait railler initialement. One-Punch Man finira très rapidement par embrasser à pleine-bouche ce qu'il prétendait dénoncer initialement. J'y vois là une forme de capitulation assumée de l'auteur. À ne pas savoir caricaturer, on prend la place de la caricature.


Plus insidieux encore, assumant mal ce qu'il est, le manga ne sera que l'exacte réplique des Shônens-combat sans inspiration qui parsèment les maisons d'édition japonaises depuis des lustres. Mais, contrairement à ses confrères, One dotera son œuvre d'une fausse aura afin de planer au-dessus de ses concurrents.
«Ceci n'est pas un Shônen, c'est une parodie de Shônen» s'avère alors aussi fallacieux que «Ceci n'est pas un pipe mais le dessin d'une pire» ; l'arnaque est de nature sémantique. Le sujet reste désespérément le même, seul le relief vient à manquer. Et du relief, One-Punch Man n'en a pas même un ersatz à faire valoir.


Non seulement, par le jeu d'une mystification captieuse, les auteurs ont le culot d'avoir la hauteur nécessaire sur les Nekketsus de base en appliquant l'exacte même méthode, mais ils trouvent en plus moyen de faire pire. Il y a là une forme de prodige dans l'infamie.
Se reposant sur son seul concept initial du héros capable de vaincre ses adversaires d'un coup de poing, One-Punch Man n'a finalement rien d'autre à concéder à ses lecteurs. L'affaire aurait pu tenir en un tome. Dès lors, sa notoriété n'aurait peut-être pas été aussi usurpée et infondée qu'elle ne l'est encore aujourd'hui.
Mais tout ne sera qu'un enchevêtrement de combats bourrins et courts. En une phrase seulement, j'ai résumé l'essentiel de l'œuvre. «C'est parodique» me diront alors les adeptes de la religion révélée qu'est devenue One-Punch Man. Ôtez Saitama comme personnage principal et remplacez-le par Genos. À compter de cet instant, qu'est-ce qui distingue ce Seinen du Shônen-baston le plus basique qui soit ?


Son univers ? Quel univers ? Un monde rempli de super-héros et de méchants aux morphotypes et costumes improbables à foison ? Ça a existé. C'était même un Shônen. One-Punch Man ? Rien d'autre qu'une réactualisation contemporaine de Kinnikuman sous Méthamphétamine, le verni de la fausse auto-dérision en sus. Dire qu'il aura suffi d'un concept vraiment minable pour justifier la superfluité de toute forme de construction du récit.
Les personnages seront évidemment à l'image de l'univers dans lequel ils évolueront : vides et dépourvus de sens. Ils n'ont de toute manière pas le temps d'être dotés de caractère, occupés qu'ils sont à se castagner sans interruption aucune sans jamais qu'aucun gentil ne meurt.
Mais sans doute m'objectera-t-on là encore que tout cela se veut parodique. J'ignorais qu'il fallait s'adonner à la platitude pour caricaturer la platitude. Encore et toujours, One-Punch Man s'évertue à incarner ce qu'il avait la prétention de dénoncer.
Il en faut plus que de se mettre sur la pointe des pieds pour dépasser du lot. C'est bien la peine de se donner des airs de ce qu'il n'est pas pour nous gratifier d'une pléiade de chapitres aux cases sans texte où seuls les coups brutaux et sans grâce pleuvent. Les combats se veulent d'ailleurs lourdement stylisés par Murata. Parodiquement sans doute...


Murata dont les dessins dépassent à peine la moyenne de ce qui se fait aujourd'hui en matière de Shônen. Je n'aurai pas l'outrecuidance de le comparer aux auteurs de Seinen, à l'ombre des géants, il pourrait prendre froid. Ses dessins sont aujourd'hui mis à contribution du néant. Ils avaient autrefois une autre portée du temps d'Eyeshield 21 puisqu'ils servaient un dessein. S'il n'y a ici ni intérêt scénaristique ni émotion, à quoi bon styliser le vide intersidéral ?


S'abandonnant alors au Shônen crasse sans vraiment trop s'assumer comme tel, ce Nekketsu honteux qu'est One-Punch Man s'emploie à nous démontrer qu'il ne raille que ce qu'il jalouse en réalité. Le traitement de ses personnages et de sa trame est en dessous de ce qui se fait de plus rudimentaire. Passé outre le fait que le sentiment de menace n'est jamais apparent puisque l'on sait pertinemment que Saitama l'annihilera d'un seul coup, il n'y a rien à sauver. Tout le monde est plus surpuissant que tout le monde, les rapports de puissance sont faussés et aucune hiérarchie ne peut être établie entre les forces des personnages ; protagonistes et antagonistes inclus. Aucun sentiment d'évolution ne transparaît alors. ONE a inventé le concept du statu quo dans la démesure. Il fallait l'inventer.


Des combats brouillons et pareils à tout autre, une introduction frénétique et continuelle de nouveaux héros et de monstres s'écrasant les uns contre les autres, le tout ponctué d'une intervention inopinée de Saitama qui termine le tout.
Non seulement le concept ne porte pas l'œuvre mais cette dernière trouve moyen d'en être victime plutôt que complice. On eut pu s'attendre à ce que ONE trouve des astuces pour le contourner, comme Kyu Hayashida eut l'habileté de dissimuler la possibilité de ressusciter ses personnages sous le boisseau grâce aux aléas de sa trame.... mais non. Prisonnier de son concept, One-Punch Man se veut un sabordage prémédité et réfléchi de son propre contenu. Pourquoi diable voudrais-je embarquer sur un vaisseau où le capitaine a délibérément engagé tous les préparatifs imaginables afin de faire naufrage ?


Avec vingt-et-un tomes dans la musette , il est frustrant de se dire que l'exacte même critique aurait pu être écrite rien qu'avec ce que le premier volume avait à proposer. Rien n'évolue, tout n'est qu'une succession de bourrinades sans enjeux qui se termineront de toute manière sous les augustes phalanges de Saitama.


Cette farce purement conceptuelle à l'image de l'art conceptuel en général se veut un foutage de gueule rédigé à peu de frais, reposant sur la crédulité des spectateurs béats y souscrivant aveuglément. Déposer un étron dans un musée ne fait pas de l'acte une œuvre subversive et réfléchie mais une simple défécation tout ce qu'il y a de plus conventionnelle dans un lieu insolite.
Y voir plus que ça, c'est se mentir à soi-même. Un concept foireux, même novateur, reste foireux ; il ne suffit pas d'avoir une idée nouvelle pour qu'elle soit nécessairement bonne ou porteuse sur le long terme.
Qu'on lise One-Punch Man au même titre qu'on le ferait d'un Shônen de la même facture, je le comprendrais. Qu'on se pâme de son contenu comme étant supérieur à ce qu'il feint de moquer, c'est inacceptable. Que ceux qui érigent One-Concept Man sur un piédestal indu assument enfin leur coprophagie et arrêtent de voir quelque chose là où il n'y a rien à contempler.
One-Punch Man, c'est au mieux un plaisir coupable mais certainement pas une œuvre hors-les-murs pourvu d'une aura quelconque.


À l'heure où le Nekketsu coutumier se veut déjà une parodie de lui-même sans qu'il ne soit nécessaire d'en rajouter, en quoi ONE prétend-t-il avoir la moindre assise pour le tourner en dérision ? Un Samurai Deeper Kyo (entre autres chiures) est, à son corps défendant, une parodie de Shônen plus aboutie que ne le sera jamais One-Punch Man.


Pour s'adonner à la satire, il faut se donner une certaine hauteur par rapport à l'objet de cette dernière. Cependant, lorsque l'on a à peine les capacités pour voler en rase-motte, ce n'est pas une chose aisée de regarder les autres de haut. Pour mépriser, il faut au moins être juché à quelques strates au-dessus de ce que l'on mésestime au point de chercher à en rire.
Plus bas que terre, One-Punch Man n'a d'ascendance sur rien ni personne. Même un mauvais Shônen fait avec les meilleures intentions vaudra toujours infiniment mieux qu'un produit dont le concept n'a au final qu'une portée marketing.

Josselin-B
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le 4 mai 2020

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Josselin Bigaut

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