L’ère Showa se déroule de 1926 à 1989 sous le règne de l’empereur Hirohito. Pendant cette période le Japon connaît de grand bouleversement avec la Seconde Guerre mondiale, la montée du nationalisme, la bombe atomique, la reddition du pays et le débarquement des Américains, le pays est ravagé par la guerre. C’est dans ce contexte que le père de Shôko (notre héroïne) est un écrivain non conformiste recherché par la police spéciale, sa mère quant à elle, est une geisha réputée qui a su percer grâce à son mari.
Le début de l’oeuvre démarre fort, la police spéciale débarque et arrête la mère de Shôko sous excuse d’être complice de l’activité secrète de son mari. Cette dernière est torturée, humiliée par ce groupe officiel qui outrepasse la dignité humaine pour obtenir les informations qu’ils souhaitent. Dès les premières pages le duo d’auteurs montre le ton, l’oeuvre se voudra dure, réaliste, difficile psychologiquement, et ancrée dans l’ambiance horrifique de cette époque.
Après le décès de la mère de Shôko suite aux blessures qu’elle à subit, cette dernière se retrouve seule à devoir survire à un âge trop précoce. Elle enchaîne les vols à l’étalage sous risque de se faire tabasser. Elle se refuge dans des bâtiments désaffectés pour des Américains qui violent impunément des Japonaises ou encore essaye de survivre en jouant à la petite fille aux allumettes, se prostituant pour récolter de l’argent facile. Ceci n’est que le premier quart de l’oeuvre, Shôko grandira et continuera de survivre dans la rue, en pension ou dans la vie. L’oeuvre se décompose en trois actes, son enfance orpheline, son adolescente au centre de rééducation, et le début de l’âge adulte avec son émancipation.
Comme indiqué plus haut, ce titre se veut réaliste et nécessite donc se se remettre dans le contexte historique. Comme Yoshihiro TATSUMI avait pu le faire en son temps avec Goodbye (Éditions Vertige Graphics), KAMIMURA et KAJIWARA souhaitent dépeindre la difficulté de cette époque, sur ce fond historique. Décrivant la réalité des orphelins, des femmes seules qui se prostituent aux Américains et des responsables des administrations qui abusent de leurs positions.
Les protagonistes que Shôko rencontre dans différentes situations aspirent qu’à une chose : survivre, souvent au détriment de la dignité humaine. Entre les viols, tortures, séances de tabassages, lynchages, bizutages, humiliations, abus de position et rites d’initiatiques, les situations ne manqueront pas pour montrer l’horreur et la cruauté dont les humains sont si prolifiques.
Mais l’oeuvre ne se limite pas à son contexte difficile, l’important c’est l’héroïne et comment elle réagira face à ces situations. Son évolution est le coeur de l’oeuvre. Celle-ci a un caractère fort, inflexible et inébranlable, elle lutte pour survivre dans ce monde sans pitié. C’est une battante, qui ne se laisse pas dépasser par la situation. C’est une fille intelligente qui a eu une bonne éducation, mais que la vie a transformée en dure à cuire.
Les différentes rencontres la forgeront, que ce soit grâce aux prostituées soumises à leur proxénète, son père qui a laissé sa femme mourir plutôt que se rendre, l’abus de position des responsables du centre de redressement, ou encore la violence gratuite de ses résidents. Le sentiment de justice vengeresse sera sa motivation première. Sans être altruiste, elle se vengera des personnes qui s’opposent à elles ou qui font du mal à ses amis.
Elle est aussi inspiratrice, et ne laissera pas indifférente ceux qui restent passifs faire aux actes de violence, et leurs donneras, la force de se battre face à l’injustice et réussir leur rédemption personnelle. Mais elle apprendra aussi au contact des autres, Shôko reste une jeune fille et des sentiments forts d’amour et son épanouissement en tant que femme fera évoluer son caractère.
Au début de l’œuvre la narration se veut assez soutenue, le récit enchaîne rapidement lors de la mise en contexte. Une fois que Shôko se retrouve seule, la narration prend un rythme plus lent qui permet de mieux apprécier l’enchainement des évènements.
À noter que l’on ne retrouve pas exactement la même finesse poétique ou autres métaphores symboliques imagées dont l’auteur excellent naturellement. Peut-être dû fait de la collaboration avec un scénariste n’a pas laissé la liberté habituelle dont KAMIMURA peut jouir. Mais ceci n’est qu’un ressenti par rapport aux autres œuvres déjà publiées et non un réel défaut.
Il est intéressant de noter de nombreux parallèles avec Ashita no Joe, que ce soit dans le caractère de notre héroïne ou certaines scènes de l’histoire, notamment sur la persévérance de Shôko ou les différentes scènes du centre de redressement (lynchages, lâché de cochons.)… Le passé du scénariste reste très présent dans les histoires qu’il raconte.
L’oeuvre reste à ce jour inachevée faute au magazine de pré-publication qui a cessé son activité, toutefois l’histoire se termine dans ce que l’on peut considérer comme une première partie complète et ne s’achève pas sur un cliffhanger. Naturellement une suite aux aventures de Shôko n’aurait pas été de refus.
Côté dessin, on reconnaît immédiatement la patte de KAMIMURA, un trait qui se veut simple, proche des estampes, ceci reste daté des années 70 mais il reste efficace. Bien que le trait soit propre à l’auteur, il semble un peu plus grossier, un problème de proportions des personnages se fait ressentir, ils ont parfois des têtes plus grandes que le reste du corps. Nous ne retrouvons pas l’extrême élégance habituelle du dessinateur.
Dans des situations de violence, la réaction des personnages ou la mise en scène se veut plus légère donnant un faux effet comique. Ces points enlèvent du réalisme à l’oeuvre et peuvent gêner l’implication du lecteur dans la dramaturgie des situations. La mise en scène utilise un cadrage différent, usant de vue plongeante ou de contre plongé, accentuant la position de force ou de domination des personnages, cela donne un effet d’oppression, augmentation la dureté du propos, mais a force d’user de cette technique, le lecteur pourra avoir du mal à se projeter visuellement au même niveau que les personnages.
Les Éditions Kana ont compris qu’il fallait soigner ce titre, celui-ci nécessite une mise en contexte, pour cela, l’éditeur nous gratifie de 7 pages d’explications sur l’oeuvre, les auteurs et le processus de création. Un dossier très appréciable, mais qu’il sera conseillé de lire à la fin de l’oeuvre pour ceux qui ne souhaitent pas être spoliés. De plus le dossier encense les nombreuses pages couleurs de l’édition originale qui ne sont pas présentent dans l’édition française, choix difficile à comprendre…
Une femme de Showa est une oeuvre particulière, de par sa collaboration entre deux auteurs majeurs des années 70, son thème difficile et son traitement. L’héroïne est une femme forte que l’on aurait aimé suivre jusqu’au bout de l’aventure. Il sera difficile à conseiller comme première lecture pour découvrir KAMIMURA car elle demande une relecture pour l’apprécier dans sa globalité, mais elle reste passionnant pour les fans et d’un point de vue culturel.