Après une réédition en intégraux massive et couronnée de succès des meilleurs récits de Mickey, Donald et Picsou, les éditions Glénat tentent cette année un pari autrement plus risqué : permettre à des auteurs français de publier leurs propres histoires de Mickey, entre hommage et interprétation personnelle. Risqué car Disney veille au grain, avec un droit de regard sur ces publications hors-normes. Cette initiative a en tout cas l’ambition d’intéresser un nouveau lectorat à la souris aux grandes oreilles : avec le duo Keramidas et Lewis Trondheim puis Cosey, l’entreprise semble sur de bons rails. Et pour la suite ? Loisel, rien que ça !
Scénario : «Une Mystérieuse Mélodie » donne un point de vue subtilement intime des aventures de Mickey, celui de Cosey. Tout en restant dans ce registre doux et léger si caractéristique de la recette Disney, il interroge le statut de son personnage avec grâce et justesse. Faisant de lui un scénariste de cinéma hollywoodien en 1927 (la date n’est pas anodine, elle correspond à une période d’insouciance avant le krach de Wall Street de 1929) l’auteur gratte le mythe de Mickey pour mieux découvrir sa profonde humanité. Ce dernier est placé face à ses propres limites : comment peut-il imaginer des tragédies shakespearienne, des passions enivrantes quand lui-même se contente de vivre par procuration à travers ses propres scénarios ? La mise en abyme est habile : elle montre bien à quel point l’univers de Mickey est idéaliste au point d’en être irréel. Sans atténuer le souffle optimiste du récit, Cosey le sublime par cette rencontre tant attendue entre Mickey et Minnie, on ne peut plus candide. Serait-il ainsi tombé dans son propre jeu ? Non, car l’exercice est avant tout celui de l’hommage, l’auteur reprend ainsi de nombreux personnages oubliés de l’univers Mickey, dans la même démarche que le jeu vidéo « Epic Mickey ».
Dessin : Et cet aspect est d’autant plus décelable à travers les dessins, suintant de tendresse pour Disney. L’auteur, connu pour son perfectionnisme, nous livre ici des planches à l’épure redoutablement maîtrisée, à la fois expressive et dynamique, tout en laissant une place de choix aux décors. Par ses représentations de la nature comme de la ville, Cosey déploie avec préciosité la grammaire disneyenne, découvrant la beauté d’un monde hors du temps, dont la propreté immaculée échappe à la rigidité angoissante qu’on pourrait lui attribuer. En effet, c’est principalement dans la mise en couleur que l’auteur apporte sa touche personnelle : probablement réalisée à l’aquarelle, cette dernière irradie de sensualité chaque case.
Pour : Cette préciosité se retrouve jusque dans le format d’édition même de l’ouvrage : avec sa reluire en toile, sa superbe couverture, son papier épais et ses bords arrondis, l’édition contribue à la sacralisation de l’icône de Disney. Ce souci du détail étonne encore plus pour l’album de Keramidas et Trondheim, publié comme s’il s’agissait d’un numéro oublié des publications Mickey des années 60.
Contre : La candeur monolithique du récit et des personnages pourra tout de même en agacer certains, n’étant pas désamorcée par des scènes d’actions spectaculaires comme dans la version de Keramidas et Trondheim. Le contrepoint, plus discret, est néanmoins salvateur : a-t-on déjà vu Mickey dans un compartiment de train, plongé dans le noir, Minnie dormant à son épaule ?
Pour conclure : La meilleure manière de rendre hommage à un classique de la bande dessinée reste encore de se l’approprier, et cette version de Mickey par Cosey en est un fier exemple. Ainsi, si la nouvelle suite de Corto Maltese est aboutie de bout en bout, elle ne se déploie que dans la continuité d’Hugo Pratt. On ne peut foncièrement pas le lui reprocher, tout en s’intéressant bien davantage à des suites comme celle de Mathieu Bonhomme revisitant Lucky Luke (publiée ce mois-ci) ou encore il y a quelques années le chef-d’œuvre d’Emile Bravo revisitant Spirou, dont la suite est en préparation.