Passionnant.

C'est l'adjectif qui m'est le plus venu à l'esprit pendant la lecture de ces 852 pages.
Malade, cloué au lit avec un paquet de mouchoirs et les deux tomes de Une vie dans les marges, j'ai pu me les manger d'un coup, que dis-je, les dévorer !

Le dessin épuré, presque minimaliste, fait qu'on ne s'attardera pas sur le graphisme, hormis pour les quelques moments de poésie qui coupent la simplicité de l'ensemble. La mise en page est efficace et astucieuse.
Du coup, les chapitres défilent, et l'addiction monte.

Lire Une vie dans les marges, c'est voyager au Japon des années 50 à 60, de l'après-guerre à la crise en passant par le boom économique. La politique remuée, le début de l'ascension monétaire du pays, les héros nationaux de l'époque, nés de la rivalité avec les États-Unis.

Mais c'est bien sûr, et surtout, s'immerger profondément dans la culture du manga de l'époque ; découvrir le monde fascinant -et pour le moins surprenant- des librairies de prêt. Suivre le parcours du protagoniste et des autres mangakas qui l'entourent, vivre avec eux leur parcours passionné, rencontrer les difficultés de l'édition : le rapport entre art et rentabilité, le conflit entre la créativité et l'argent. Sans oublier la bêtise humaine.

La culture du travail à la japonaise se fait extrêmement bien ressentir, le labeur étant par nature une priorité dans la société nippone, il l'était d'autant plus dans ces années là (on est loin de l'état d'esprit français vis à vis du travail).
Plus encore, l’œuvre dépeint des scènes de la vie des jeunes hommes dans ce contexte laborieux, leur colère, leur tristesse, en passant par ces rares pages érotiques. Un érotisme peu commun, troublant. On ressent bien l'étrange rapport au sexe du protagoniste et son malaise fondé sur la morale de son temps. Je n'ai su rester insensible à ces pages, tant par leur étrangeté que par la tension qu'elles dégagent.

La naissance du gekiga dont il est sujet, où l'aspiration à créer « du manga qui n'est pas du manga », représente un élan artistique universel : celui de faire évoluer la création, par amour pour son art, d'oser la nouveauté, au risque de déplaire ou de ne pas en vivre.

Cette BD touche aussi le cinéphile : deux des mangakas se rendent beaucoup au cinéma, notamment le protagoniste, qui se régale dans les salles obscures devant les films hollywoodiens, français et japonais (on a même droit à un hommage aux Sept Samouraïs, j'étais heureux comme un enfant). Une véritable inspiration pour lui, comme pour le lecteur aimant (re)découvrir les films qui ont marqué leur temps, et qui, aujourd'hui encore, sont les friandises intemporelles des cinéphiles comme toi, oui toi, qui me lit, l'est probablement.

Plus que séduit, je suis obnubilé. Touché par tant de maîtrise, par l’absorption vécue lors de cette lecture. Généralement, je ne me fie pas aux récompenses qu'une œuvre obtient, mues par une soi-disante objectivité juridique et autres points de vue sur l'art auxquels je ne crois pas.
Mais les récompenses que Yoshihiro Tatsumi a obtenues, il les mérite amplement.

Parce que Une vie dans les marges, c'est un Chef-d’œuvre.

Et non, cette affirmation n'est pas seulement due à mon attrait amoureux et irraisonné pour la culture japonaise.

Alors, prenons tous dans les mains cet ouvrage exemplaire qui a mis dix ans à aboutir, sublimement présenté par les éditions Cornélius, et lisons. Lisons l'histoire d'un pays en plein mouvement, lisons son essor économique et sa crise, lisons les gens qui se battent pour vivre, lisons les conflits fraternels, les larmes et les rires, la gourmandise pour les mets et la chair, lisons les plumes des talentueux auteurs, merveilleux créateurs d'histoires, aventuriers du manga, savourons leur noir et blanc ; lisons !

Lisons la vie.
Veather
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le 7 févr. 2015

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Veather

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