UOS
6.1
UOS

BD de Benjamin Adam (2021)

En bordure d’océan, un homme veille sur les ruines d’une activité industrielle stoppée net. La catastrophe doit dater et le comportement de l’homme indique que l’endroit reste particulièrement dangereux. Dans ce contexte, le dessinateur Benjamin Adam se montre inspiré et nous livre une œuvre sans parole qui, tout en se parcourant rapidement, imprègne les esprits.


La présentation (quatrième de couverture) indique que cet album a été réalisé en contrepoint à Soon (2019), roman graphique issu d’une collaboration entre Thomas Cadène et Benjamin Adam. Le duo explorait un futur avec projet d’exploration de l’espace pour la colonisation de planète(s) encore inconnue(s), solution pour pallier l’épuisement de la Terre. Bien plus réaliste, car sans échappatoire, le scénario ici suggéré montre les effets dévastateurs de l’action de l’homme sur la Terre. Même s’il s’agit d’une fiction, comment ne pas penser, en découvrant UOS, à une catastrophe réelle ? Rappelons que le 26 avril 1986, le cœur d’un réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine, alors encore une des républiques socialistes de l’ex-URSS) explose lors d’essais qui s’avéreront incontrôlés. Cette explosion et ses conséquences ont fait d’énormes dégâts matériels et humains. Si on ne saura jamais le nombre exact de victimes (à court, moyen et long terme), la zone contaminée par les radiations entraîna l’évacuation définitive de 200 000 personnes habitant dans une zone considérée comme dangereuse et « morte » pour une durée indéterminée. Malheureusement, certains éléments radioactifs sont dangereux pour des centaines, voire des milliers d’années. Parmi les points mis en évidence par la récente série Chernobyl, le soir de l’explosion du réacteur, des habitants de Pripiat (ville située à 3 km de la centrale) ont observé l’incendie depuis un pont, en particulier parce que les effets de couleurs leur plaisaient. Personne n’a été en mesure de les prévenir du danger qu’ils couraient. À cette heure, il ne reste aucun survivant parmi ces personnes. Tout cela pour situer l’œuvre de Benjamin Adam : esthétique du désastre.


Questionnements multiples


Cet album de 40 pages, grand format (28,8 x 38,3 cm), se présente donc comme un bel objet un peu mystérieux, avec de nombreux dessins pleine planche. Le dessinateur crée le malaise en rappelant que la mise en scène d’une catastrophe peut faire œuvre d’art (voir les peintures de Turner avec l’incendie de Londres se reflétant sur la Tamise). Benjamin Adam, lui, utilise une palette de couleurs réduite (très comparable à ce qu’il utilisait pour Soon), très sombre, essentiellement dans les bleus. Et puis, il nous donne à explorer ces ruines en suivant les pas d’un homme absolument seul. Est-il chargé de veiller dessus, ou bien est-ce un objectif qu’il s’est lui-même attribué, pourquoi pas faute de mieux ? Impossible de savoir, puisqu’on ne le voit jamais rendre compte de ce qui se passe (rien), à une quelconque autorité. Ceci dit, cette question fait partie des multiples qu’on peut se poser en parcourant l’album. Que s’est-il passé ? Quand, comment et pourquoi ? Peut-on identifier le lieu ? Un spécialiste peut-il affirmer à certains détails qu’il s’agit d’une centrale nucléaire ? À vrai dire, peu importe qu’il n’y ait aucune réponse claire, puisque le dessinateur réussit avec cet album muet, à provoquer le questionnement. À chacun.e de se poser les siennes et de tenter d’y répondre.


Détails et interprétation


L’album commence dans des tons très sombres, pour s’éclaircir progressivement, comme s’il s’agissait d’un début de journée. On repère rapidement une nuance bleu clair qui crée une sorte de malaise. L’honnêteté incite cependant à reconnaître que ce malaise vient peut-être avant tout de la présentation de l’album, puisqu’on s’attend à ce genre de sensation. Le malaise vient aussi du fait qu’il faut attendre pour observer une manifestation de vie (autre que la végétation) : page 11, dans un petit cadre clair, en plein milieu de la planche, laissant entendre qu’il s’agit d’une réminiscence du passé. Les traces de la civilisation montrent bien que la vie telle que nous la connaissons commence à dater. Tout est à l’abandon, délabré, et ce qu’on observe d’un site industriel laisse apparaître les marques d’un désastre (confirmé par un nouveau cadre clair, page 15, réminiscence d’un moment de fuite précipitée). Page suivante, un reste de support de câbles à haute tension laisse entendre que le site produisait de l’électricité. Il faut attendre la page 18 pour observer, de loin, une silhouette humaine avec un bras reposant sur le tronc d’un arbre. Page suivante, dans un cadre plus grand que les autres, une nouvelle réminiscence nous montre le visage d’un homme, chevelu, barbu, moustachu, qui semble se souvenir d’une époque où il pouvait manger dehors sans protection (désormais, il enlève juste le casque de son scaphandre, pour pouvoir porter les aliments à sa bouche). Les lettres énigmatiques du titre apparaissent, probablement les restes d’une enseigne façon Hollywood dans les collines de Los Angeles.


La suite nous montre cet homme dans sa visite des installations qu’il surveille. Un détail sème le doute, quand il échange un salut, mais ce n’était qu’une fausse alerte, ironique. C’est seulement dans les profondeurs que l’homme peut se mouvoir sans protection et laisser libre cours à son inspiration sur les murs d’un immense couloir. Ce qui laisse une impression bizarre, comme si l’humain avait bouclé la boucle en redevenant homme des cavernes. Malheureusement, on peut considérer qu’il a régressé, puisque désormais il doit se protéger de ce qu’il a lui-même créé (sans compter son action sur la vie à la surface de la planète) et je ne parle même pas de son état psychologique. Il faut attendre les dernières planches pour un semblant d’optimisme qu’on pourrait interpréter avec le dicton : « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. »


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
7
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le 31 mai 2021

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