Je n'ai pas le courage de lire le tryptique de Virginie Despentes, aussi j'étais très content de découvrir qu'il y en avait une adaptation BD par Luz, que je connais mal également. J'avais envie de comprendre ce qui fait l'originalité de Despentes, qu'on avait beaucoup entendu pendant les derniers mouvements sociaux sous Macron. Notamment le côté féministe m'intéressait.
Or ce premier tome m'a semble de prime abord peu original. On suit le lâcher-prise d'un ex-disquaire parisien dont l'enseigne a fermé, Vernon Subutex. Âgé de la cinquantaine, Vernon a vu ses amis partir et le disque être détrôné par l'Ipod. Un bon ami à lui Alex Bleach, devenu une icône pop, est mort en lui léguant des bandes où il s'auto-interviewe avant de se suicider, mais Vernon n'a pas envie de les écouter, alors que cela intéresse de nombreuses personnes. Chassé de chez lui par les huissiers après avoir vendu toute sa collection de rareté, Vernon se regarde glisser.
Il squatte chez une série de personnes : son pote Xavier, un scénariste réac et beauf ; une journaliste voulant rédiger une biographie d'Alex Bleach ; Sylvie, une bobo du XVIe qui se cherche une seconde jeunesse ; Gaëlle, une punk qui squatte chez un trader pour qui Vernon devient temporairement DJ : Patrice, un ancien métalleux qui avoue avoir battu sa femme. Au fur et à mesure, il perd tout sauf son ipod et une copie numérique des documents d'Alex Bleach, en collier autour de son cou.
Face à lui, il y la hyène, une lesbienne mercenaire qui fait et défait les réputations sur internet : elle a été démarchée par Dopalet, un producteur qui veut mettre la main sur les enregistrements d'Alex Bleach. Elle contacte Sélim, un maghrébin prof de fac dont la fille est tombée dans l'islam ; une actrice porno en retraite, Pamela Kant, qui avec son compagnon F2M enquête sur la mort de la compagne d'Alex Bleach, Vodka Satana, elle aussi dans le porno.
Après un moment, Vernon décroche. Il sombre dans la mendicité et est protégé un temps par Olga, une colosse. il fuit et découvre un banc sur la colline des buttes Chaumont. Hypnotisé par le panorama, Vernon devient indifférent à tout, y compris à l'hygiène ou à la nutrition. Un poivrot, Charles, lui apporte du soutien. Mais sur Facebook, ceux qu'il a croisés s'efforcent de retrouver Vernon. Ils lui mettent la main dessus et le remettent sur pied. Ensemble, tout le monde regarde les fameuses bandes d'Alex Bleach : ce denier confesse que Vodka Satana a été assassinée par un producteur qui l'a fait sombrer dans la coke : Dopalet.
L'histoire est peu prenante pour plusieurs raisons. On suit dans un univers très contemporain les rescapés du cercle d'amitié d'un ancien disquaire adepte du monde de la nuit parisienne. ça parle beaucoup de morceaux de musique que je ne connais pas forcément, façon "connaisseur initié". ça déprime tout en se demandant si le rock est vraiment mort, et si la société de consommation gagne toujours à la fin. ça se veut rock, vraiment, mais il y aussi ce côté nombriliste qui fait que les gens autour de vous vous semble des types sociologiques tandis que vous bloquez sur vos propres problèmes. La dernière partie, qui voit Vernon devenir complétement indifférent à tout et incapable de s'occuper de lui-même, est assez agaçante.
En première lecture, on peut avoir l'impression que Despentes a voulu créer une sorte de bestiaire de la vie nocturne parisienne en s'inspirant de ce qu'elle a pu voir de la jet-set. On serait dans le cas de ces écrivains qui font fortune en vampirisant les gens autour d'eux pour en faire des personnages, et il y a clairement un petit côté "roman à clé", d'autant que l'action est clairement située au milieu des années 2010, il est fait mention de films, etc... Un goût pour l'étude sociale efficace qui rappellerait Houellebecq.
Ce n'est pas vraiment une écriture jeune. Le porno est résumé à Youporn (sans doute un des pires sites, celui que citent ce qui n'en regardent pas vraiment), les jeux vidéos sont montrés comme abrutissants : il y a un côté "héritier de soixante-huit qui veut faire jeune sans l'être".
Ce n'est pas foncièrement féministe non plus. Bien sûr, il est question de problème d'identité de genre, de liberté sexuelle, de femmes battues, à travers les personnages, et l'antagoniste est un espèce de micro-Harvey Weinstein, mais c'est plus centré sur le rock, au fonds.
Alors, je n'ai pas aimé ?
Je n'ai pas parlé du graphisme de Luz, qui sait magnifiquement utiliser la composition de la page. Un graphisme délibérément sali pour faire underground, avec des trouvailles; Il y a un travail sur les couleurs (à base d'applats de couleur primaire) qui donne un côté criard. Je ne suis pas très fan mais je comprends la démarche. C'est un très gros travail, chacun des deux tomes faisant plus de 300 pages.
Par ailleurs on est typiquement dans le cas d'un ouvrage que vous ne pouvez pas cantonner à son tome 1. Tout ce premier tome, donnant l'impression d'un défilé artificiel de types sociologiques, ne sert qu'à poser les bases pour ce qui se passe dans le tome 2. Et sans ces fondations, le tome 2 n'aurait pas de sens. Donc même si le tome 2 est bien plus intéressant, il a besoin du tome 1 pour exister.
Une BD sauvée par sa suite, donc.