Aujourd’hui, plus grand monde ne se souvient de Violette Nozière. Elle a bien eu un petit coup de pub dans les années soixante-dix grâce à Claude Chabrol et Isabelle Huppert, mais elle est bien vite retombée dans l’oubli. Forcément, les biopics n’étaient pas encore au top de la mode à l’époque. Puis il y a peu, deux auteurs de BD se sont à leur tour emparé de son histoire pour nous la remémorer. Pour ceux qui ne la connaissent pas, voici un petit rappel de l’histoire de Violette Nozière.


Fille d’ouvrier née en 1915, c’est une enfant fragile et chétive. Elle vit à Paris une enfance heureuse avec ses parents. En grandissant, elle devient vite femme et découvre très jeune les plaisirs de la vie. Elle qui était une élève studieuse et admirée par ses professeurs, devient une cancre qui fait l’école buissonnière pour aller s’amuser avec les petits bourgeois parisiens. Violette se sent étouffée dans un univers familial qui l’ennuie, elle rêve d’une vie meilleure, de belles robes, de bijoux et de richesses. Pour fréquenter les groupes d’étudiants parisiens aisés, elle s’invente des parents riches et cultivés, puis elle vole, se prostitue…


Ses parents sont désespérés, la changent de lycée pour améliorer la situation, mais rien n’y fait. Violette contracte même la syphilis, et réussi à convaincre son médecin d’expliquer à ses parents qu’ils s’agit d’une maladie héréditaire pour ne pas créer de crise familiale. Elle profite de cette maladie pour faire ingurgiter des cachets à ses parents qui lui font honte et l’empêche de mener la vie dont elle rêve. C’est sa première tentative de meurtre, qui échoue mais qui n’est que le début d’une liste d’événements terribles qui la rendront célèbre.


Pour la fin de l’histoire, à vous de lire la bande dessinée !


Oui, oui, j’ai bien dit la bande dessinée, et pas la page Wikipédia ! Pourquoi lire cette bande dessinée ? D’abord, parce que c’est un bel album qui fera sont petit effet dans votre bibliothèque. La couverture est très réussie et crée déjà une ambiance tamisée et délicate qu’on retrouvera dans les pages. Les jeux d’ombre et de lumière mettent en scène une Violette dont les yeux surmontés de sourcils parfaitement dessinés expriment peut-être le calcul et la détermination, peut-être l’innocence et la déception… Qui sommes-nous pour juger ?


Quoi qu’il en soit, dès la couverture, pas de doute, la meurtrière est tapie dans l’ombre, à attendre son heure. La bande dessinée ne raconte pas en détail la partie sordide de l’histoire, on voit peu le procès, la célébrité malsaine ou la prison pour se concentrer sur la vie avant le crime. Comment et pourquoi Violette a t-elle atteint de telles extrémités, est-elle une victime ou une criminelle ?


Là ou cet album est vraiment intéressant, c’est qu’il ne porte pas de jugement sur l’événement historique, il se concentre sur la présentation de cette jeune femme, qui elle est, ce qu’elle aime faire, ce dont elle rêve. Il raconte aussi sa relation au monde, à ses parents d’abord, puis aux hommes et à la vie, sa vie telle qu’elle est réellement, puis sa vie telle qu’elle la voit, la rêve en dehors du carcan familial.


Ce que dit l’album, c’est que Violette est peut-être celle qui croit le plus à ses mensonges. Sa honte face à la réalité de sa vie, et son acharnement à s’en éloigner le plus possible, par tous les moyens témoignent d’un mal-être profond, d’une volonté de fuir, d’être quelqu’un d’autre. Et si Violette souhaite par dessus tout s’enfuir, c’est à la fois parce qu’elle se sent étouffée et brimée par ses parents qui ont pris soin de lui tracer un avenir fier et surtout bien droit, mais également parce que le laxisme de son éducation – des parents qui l’aiment et veulent tant son bonheur qu’ils cèdent à tous ses caprices – lui a permis de prendre le large, de s’envoler bien trop haut pour pouvoir être ramenée sur terre.


Alors Violette vit dans une illusion. Une illusion qui existe d’abord parce que le contexte historique est ce qu’il est, parce qu’on est en 1933, quatre ans seulement après le krach boursier de 1929. Les années folles sont bien finies, et on est en plein dans la Grande Dépression. Mais les cercles d’étudiants parisiens s’illusionnent, s’amusent et vivent heureux. Violette l’adolescente, la jeune femme, est partagée entre ses parents prolétaires et inquiets, un passé proche au mœurs libérées qui a vu les femmes s’émanciper et s’assumer, une recherche du plaisir permanent, et une vie de mensonges nécessaires. Elle ne peut se résoudre à abandonner le confort qu’elle a réussir à obtenir par ses malhonnêtetés.


Surtout quand elle rencontre Jean, l’homme dont elle tombe amoureuse, son premier amant de cœur. Il la croit fille de bonne famille qui croule sous les billets distribués par ses parents, alors il mène la grande vie. À ses frais.


Mais pour lui, elle est prête à tout. À continuer à se prostituer d’abord, pour lui fournir l’argent dont il a besoin pour faire la fête, à mentir encore et toujours plus à ses parents, à voler dans leurs économies. Et pire, à les rayer littéralement de sa vie, pour profiter d’un héritage de plusieurs milliers de francs, économisés pendant toute leur vie.


C’est ainsi que Violette essaiera pour la première fois de tuer ses parents. Et l’histoire ne s’arrête pas là. La bande dessinée se termine sur le procès de Violette, même s’il reste quelques pages qui passent ensuite très vite sur la fin de son histoire. Plusieurs pages sont également réservées à la fin de l’album pour raconter l’histoire d’après les dates les plus marquantes, images d’archives à l’appui.


Mais c’est surtout cette nouvelle vision qu’offrent les deux auteurs sur cette femme-enfant qui est intéressante. Elle n’est pas dépeinte de manière péremptoire comme une tueuse de sang froid, ou une victime innocente. Elle est racontée dans son intimité, on n’entre pas dans ses pensées, on la suit juste dans ses vagabondages, son organisation et ses plans. Et on se demande finalement si elle comprend vraiment ce qu’elle fait. Parce qu’elle n’est en fait peut-être qu’une gamine perdue qui veut prouver au monde son indépendance, ou une meurtrière calculatrice et manipulatrice… Qui peut savoir aujourd’hui ?


Quoi qu’il en soit, elle fut, à son époque, autant insultée et abhorrée que défendue et soutenue par ses contemporains. Impossible aujourd’hui de faire le tri dans les vérités et les mensonges de cette histoire, mais on peut malgré tout profiter de ce très bel album, dessiné avec beaucoup de talent par une jeune illustratrice qui a su créer une ambiance ambivalente, à la fois grisonnante et sombre comme l’était l’Histoire à cette période, et à la fois lumineuse et dynamique, joyeuse comme l’était Violette Nozière quand elle vivait dans sa propre illusion.


À lire aussi, avec plein d'autres, sur : http://www.demain-les-gobelins.com/violette-noziere-vilaine-cherie/

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le 14 févr. 2017

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