Le portrait envoûtant d'une "vilaine chérie"

Décidément, les faits divers de la France de l’entre-deux-guerres inspirent les auteurs de BD. Après Chloé Cruchaudet et son très réussi "Mauvais genre", qui raconte le parcours d’abord sympathique puis tragique d’un déserteur travesti en femme, c’est au tour du scénariste Eddy Simon et de la dessinatrice Camille Benyamina de s’attaquer à l’une des affaires les plus retentissantes de l’histoire judiciaire française: celle de Violette Nozière. Durant l’été 1933, cette jeune fille de 18 ans empoisonne ses parents, a priori sans véritable mobile. Puis, pendant les 2 jours qui suivent, elle sort faire la fête, comme si de rien n’était. Lorsqu’elle revient à l’appartement familial, situé rue de Madagascar à Paris, elle alerte les secours, en faisant croire à une fuite de gaz. Pour son père, il est trop tard, tandis que sa mère ne survit que par miracle. La police ne tarde pas à se rendre compte qu’il ne s’agit ni d’un suicide, ni d’un accident, d’autant plus que les voisins ne sont pas dupes. Violette tente encore de s’échapper, mais après 6 jours de cavale, elle est arrêtée dans un parc. En octobre 1934, son procès fait les choux gras de la presse pendant des semaines. Tous les journaux s’emparent de l’histoire de Violette Nozière, surnommée désormais "l’empoisonneuse de la rue de Madagascar": les articles décrivent en long et en large ses mensonges à répétition, ses manipulations, sa vie dissolue, ainsi que ses multiples amants (dont certains la payaient). Des chansons lui sont même consacrées. "Elle empoisonna ses parents, la lâche Violette Nozière. Se riant de leur calvaire pour leur soutirer de l’argent, sans pitié pour les blancs cheveux de ceux qui la mirent au monde. Elle commit ce crime monstrueux pour aller faire la noce, roulait déjà, fille précoce, dans les hôtels et boîtes de nuit. La mère râle, le père est mort mais elle n’a pas un seul remords", dit l’une d’entre elles. Il faut dire que le parcours de cette jeune fille issue d’un milieu populaire, qui mentait comme elle respirait et s’inventait en permanence d’autres parents plus fortunés, a de quoi titiller les imaginations. A commencer par celle du cinéaste Claude Chabrol, qui a consacré un film mémorable à Violette Nozière, avec Isabelle Huppert dans le rôle principal. La version du tandem Benyamina/Simon vaut elle aussi le détour, et constitue une très bonne surprise, tout comme l’avait été "Mauvais genre" il y a quelques mois. Les auteurs de "Violette Nozière vilaine chérie" prennent le temps de dresser un portrait fouillé et passionnant de cette mystérieuse jeune fille. Manipulatrice, narcissique, leur Violette est une petite fille gâtée qui ne semble pas vraiment se rendre compte des conséquences de ses actes. Paradoxalement, elle finit pourtant par être elle-même manipulée par l’étudiant sans le sou Jean Dabin, le seul de ses amants dont elle tombe véritablement amoureuse, à qui elle ne cesse de remettre de l’argent en lui faisant croire qu’elle vient d’une famille aisée. Empêtrée dans ses mensonges, elle bascule dans une spirale où elle doit sans cesse trouver des nouvelles rentrées financières pour entretenir Jean, ce qui va finalement l’amener à commettre l’irréparable… Efficace, simple, direct, le scénario d’Eddy Simon est indéniablement l’un des ingrédients majeurs de la réussite de "Violette Nozière vilaine chérie". Mais la véritable révélation de cet album, c’est la jeune Camille Benyamina, dont le trait tout en délicatesse crée une ambiance littéralement envoûtante et donne vie à une Violette tour à tour charmante et diabolique. Une grande dessinatrice de BD est née!
matvano
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le 23 févr. 2014

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