On connaît le talent de Nicolas de Crécy depuis l'inaugural Foligatto en 1991 ( éditions Humanoïdes Associés sur un scénario d'Alexio Tjoyas). Peu d'auteurs ont su imposer un style graphique et un univers aussi complet et inédit dès leur première publication. S'en suivirent les importants Léon La Came, Monsieur Fruit, Le bibendum céleste...En quelques années, Nicolas de Crécy avait su offrir à ses lecteurs des ouvrages non seulement résultant de sa maestria graphique mais affirmant leur singularité.
On doit l'avouer, ces dernières années, on a ressenti, peut-être à tort, la difficulté de l'auteur à retrouver une implication constante dans ses différentes propositions. Certes, ses évocations de mégalopoles étaient toujours aussi fascinantes, ses personnages aussi atypiques... mais ce sentiment de plénitude dans l'utilisation des moyens employés étouffait presque ses livres. L'espace, l'imprévu semblaient presque s'en être dissout. La liberté, l'enthousiasme nous semblaient se trouver désormais dans la contemplation de ses vibrants carnets de dessins publiés aux éditions Barbier & Mathon.
La publication de Visa transit, un an après la parution de Les amours d'un fantôme en temps de guerre - sa première -et belle- œuvre romanesque en 2018- éveille donc notre attention, mais ne suscite pas forcément l'enthousiasme que nous ressentions à une autre époque vis à vis de l'auteur. Pourtant, dès les premières pages, on a le sentiment que Nicolas de Crécy s'est laissé guider par une forme de simplicité qui semble inédite dans son œuvre. L'argument autobiographique lui permet de dérouler le fil de son récit - non de manière linéaire - et d'écarter l'exubérance qui caractérise généralement ses univers. Évocation dans les années 80 d'un périple entre l’Europe et l'Asie, Visa Transit, déroule tous les attendus du récit de voyage et d'apprentissage, tout en les complexifiant page après page. Car au lieu de nous offrir un univers fantasque "clé en main", Nicolas de Crécy semble se plaire à fouiller dans sa mémoire afin d'invoquer le fantasque, la farce qui se cache dans son récit de vie. Les villes y apparaissent tout autant comme des traces d'un carnet de voyage, que comme des architectures sensiblement romanesques. "Le principe du Baron Perché, mis en œuvre à l'échelle d'un village.". Mais la gageur de cette nouvelle proposition est sans cesse de revenir à la réalité, de s'ancrer dans les faits, dans l'actualité. "La réalité n'est jamais loin". En ne laissant libre cours à son imaginaire débridé que par bribes -apparaîtront tout de même une station essence fantomatique, Henri Michaux à moto et une mystérieuse protection de la vierge - et en s'imposant un travail précis d'évocation de sa mémoire, l'auteur ne cesse de nous montrer ce qui fait la spécificité de sa vision. C'est toute l’œuvre de Nicolas de Crécy qui se trouve redessinée par ce Visa transit de haute volée. Il réussit à nouveau à y faire dialoguer intransigeance artistique et émotion.
Bruno