Watchmen
8.5
Watchmen

Comics de Alan Moore et Dave Gibbons (1986)

Ave, New York, morituri te salutant. Tel est l’état d’esprit régnant dans la Grosse Pomme en cette année 1985. La fin du monde approche et personne ne semble en mesure de sauver l’Humanité. Sauf les Watchmen ?


Paru en 1986, Watchmen est une bande dessinée de genre uchronique assimilable à un roman graphique. Alan Moore et Dave Gibson en sont les auteurs, respectivement en tant que scénariste et dessinateur. Le titre est une référence à une citation de Juvénal, « Quis custodiet ipsos custodes ? », littéralement « Qui gardera les gardiens ? » (« Watchmen » étant la traduction anglaise de « gardiens »). Cette BD est partagée en 12 chapitres, symbolisant les 12 heures du cadran d’une montre. A noter que chacun des chapitres est précédé d’une page noire où est représentée une horloge dont l’heure avance chaque fois un peu.
Le thème du temps, qui s’écoule inexorablement, est d’ailleurs omniprésent, en témoigne le chapitre IV, centré sur l’histoire de Jon Osterman, alias Dr Manhattan, un homme qui fut désintégré par accident mais qui parvint à se reconstituer en un corps humanoïde de couleur bleu. Capable de contrôler la matière, de voir le futur, il est immortel. Drôle de paradoxe pour ce fils d’horloger qui se destinait également à cette profession. Son rapport avec le temps n’en est qu’encore plus intéressant, tout comme sa dernière phrase « Rien ne finit jamais Adrian. Rien, jamais. ». Il demeure une figure insaisissable, de par son absence de sensibilité et d’humanité. Les autres personnages sont des super-héros ou plutôt des justiciers qui essaient de lutter contre le crime. Ils se nomment Rorschach, le Hibou, le Spectre Soyeux, Ozymandias et le Comédien. Attention à ne pas faire d’amalgame : bien que décrit comme des super-héros, ils ne s’apparentent en rien à Superman ou autre Spiderman. Dotés d’opinions politiques diamétralement différentes et d’un sens de la moral parfois voire souvent élastique, ils n’ont pas de « super pouvoirs » à proprement parler.
L’histoire se passe à New York en 1985. La guerre froide est à son paroxysme et la menace nucléaire imminente. C’est dans cette ambiance de fin du monde et de noirceur, dominante dans l’entier du livre, que débute l’intrigue par le meurtre du Comédien. Mais qui donc en est l’assassin ?


Tout d’abord, rendons à Dave Gibson ce qui appartient à Dave Gibson : les dessins sont transcendants, éthérés, surnaturels, utilisez le mot qui vous convient. Les angles de vue, l’audace, les détails : quelle maîtrise ! Le tout sublimé par des couleurs (John Higgins) vives, percutantes, déroutantes, magiques : le visuel est simplement parfait.
Ensuite, passons au scénario. Je dois dire qu’à la première lecture de cette œuvre, j’étais quelque peu désorientée. Rien que de comprendre qui sont les « gentils » et les « méchants » n’était pas chose aisée. Pas de manichéisme possible, chaque personnage a son histoire et ses enjeux propres. Il m’a fallu une deuxième lecture pour admirer l’étendue de la magnificence de cette BD. La construction du récit, coupé entre chaque chapitre par des textes fictifs type journaux ou lettres en rapport avec l’histoire, ainsi que les nombreux flash-back, permettent de se plonger profondément dans l’univers des différents protagonistes. Les apparitions récurrentes du vendeur de journaux et du gamin lisant sa bande dessinée à côté m’apparaissent comme une formidable idée. Cela aide à la compréhension du climat de peur et d’incertitude régnant dans ce New York pourri jusqu’à l’os. De plus, l’histoire du naufragé (la bd de l’enfant) dont on a régulièrement le droit à quelques planches, ajoute encore une touche de désespoir et d’horreur.
En outre, loin de s’arrêter au cadre souvent simpliste des histoires de super-héros, Alan Moore ajoute une dimension philosophique singulière à ses personnages. Que ce soit Rorschach, Ozymandias, le Comédien ou Dr Manhattan, tous nous offre différents points de vue et autant de matière à réflexion sur le Bien, le Mal, la morale et la vie. Et ce n’est pas la fin de l’histoire, inattendue et horrifiante, qui viendra lever les doutes, la folie ou la dépression de ces super-héros tourmentés. Alea jacta est, comme disait l’autre.


En conclusion, si vous ne devez choisir qu’une seule BD à emporter sur les plages des îles Canaries, n’hésitez pas, prenez Watchmen ! Vous n’en sortirez pas souriant, mais assurément transformé. Le mot « exception » n’est pour une fois pas usurpé. Action, suspense, émotions, questionnement : tous les ingrédients sont réunis dans ce chef-d’œuvre. Veni, vidi, vici !

escargotpresse
10
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le 26 mai 2019

Critique lue 181 fois

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