Un seinen particulièrement déprimant qui raconte avec un cynisme implacable la rébellion des compatriotes de Guillaume Tell dans la Suisse médiévale. Ce sadisme est incarné en la figure du méchant savoureusement détestable de l’histoire, le machiavélique amman Wolfram dont l’apparence volontairement angélique contraste avec la cruauté toute moyenâgeuse dont il fait preuve. Ce despote quasi omniscient fait peser une épée de Damoclès permanente sur les rebelles, pour échafauder la stature de cet antagoniste redoutable l’auteur n’a pas hésité à lui sacrifier ses héros quitte à provoquer par la même un déficit d’attachement et d’identification de la part du lecteur. Ce parti pris narratif fort rappelle celui adopté par George R. R. Martin et les hécatombes mémorables qui ont fait la renommée de GoT, ceci dit cette vulnérabilité des personnages rend l’aventure d’autant plus crédible et imprévisible.
Les enjeux vitaux et l’excellente lisibilité des batailles (que l’auteur retranscrit de façon très compréhensible voire un poil scolaire) permettent au manga de rester prenant malgré ce manque de continuité dans la personnification des héros qui peut s’avérer déconcertant. Même si l’auteur s’appuie sur quelques personnages sortis du lot de façon momentanée afin de dynamiser le récit, c’est bien la foule qui semble être le personnage principal. Cette « prolétarisation » de la figure du héros rappelle les films soviétiques de l’époque qui mettaient en scène les masses populaires comme s’il s’agissait d’un héros polymorphe, cette vision « communiste » et révolutionnaire sied toutefois bien au propos du manga : soit une révolte paysanne qui lutte afin de renverser l’oppresseur et le pouvoir social établi. Cette tyrannie féodale est d’ailleurs puissamment matérialisée dans la forteresse inexpugnable du Saint-Gothard qui sert de théâtre aux événements (comme une Bastille avant l’heure) que les confédérés vont tenter de faire tomber non sans mal. De nombreux éléments viennent enrichir le contexte historique, notamment lors des batailles où l’auteur tire remarquablement parti des recherches qu’il a effectué afin de pimenter les choses par des détails inattendus. Dans un souci compréhensible de vulgarisation l’auteur simplifie et schématise par ailleurs d’autres éléments pour garder un cadre géopolitique clair et concis.