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Yotsuba&
7.9
Yotsuba&

Manga de Kiyohiko Azuma (2003)

Serait-ce donc en son nom ou en tout cas en son honneur que les fondateurs de la Yotsuba de Death Note auraient baptisé leur entreprise ? La corrélation d'une œuvre à l'autre paraît sans doute ténue aux yeux du profane, mais pour qui a subi Yotsuba&, il apparaît limpide. Moi aussi, après pareille lecture, j'aurais perdu tout scrupule jusqu'à pratiquer l'assassinat ciblé de mes concurrents. Le Kawai n'attendrit que les masses pâteuses ; qui a un semblant de système immunitaire dresse instinctivement une barrière entre le mignon à pas cher et sa sensibilité.
La barrière que j'aurais alors érigée n'aura pas eu à être bien élevée ; car en règle générale ou même dans son registre, Yotsuba& ne vise pas bien haut.


Quelque part, peut-être pouvons nous considérer Yotsuba& comme «mignon» (le champ lexical de la chose sera particulièrement à l'honneur le temps de cette critique). Mignon en ce sens - et en ce sens seulement - où la tentative consistant à chercher chez le lecteur un quelconque fond d'émerveillement devant la candeur naïve et surtout factice suggérée ou plutôt forcée par l'œuvre ne peut être que... mignonne. Chercher à attendrir avec si peu, on dira que c'est mignon pour ne pas avoir à scander que c'est insultant.


Car le fond et surtout les bas-fonds de l'œuvre n'ont rien d'attendrissant ; il n'y a pas quoi que ce soit ici qui en appelle à l'émotion ou à l'âme, tout n'est ici qu'un ramassis d'artifices puériles, et mielleux par-dessus lesquelles Kiyohiko Azuma force abusivement le trait. Nous n'en sommes certes pas au stade du «Kawaii desu» criard et agaçant, néanmoins, un moindre mal reste maléfique dans son essence première, aussi atténué puisse-t-il être. Yotsuba& n'est que modérément hystérique, la folie douce vaut mieux que la folie furieuse mais n'a pas pour autant de quoi être portée au pinacle par ses lecteurs comme je le constate ici, désabusé, devant un engouement qui repose pourtant sur si peu.


Parce que ça crie quand même dans tous les sens. Pas trop fort, peut-être, mais ça crie. Ça crie pour tout et pour rien et surtout pour rien d'ailleurs. Un enfant qui s'exprime, ça n'est pas toujours mignon ou désarmant, c'est aussi - et parfois plus que toute autre chose - crispant et horripilant. Tout ça, Yotsuba sait l'être, mais malgré ce que la narration cherche à nous montrer d'elle.


Si au moins l'œuvre avait son dessin pour elle, ne serait-ce que pour justifier sa notoriété à raison du dixième de ce qu'elle vaut vraiment ; mais rien n'y fait, tout joue contre Yotsuba&, son art comme le reste. Le graphisme a tellement trait à la guimauve que j'arrive presque à sentir l'odeur du sucre au point où le diabète paraît me guetter en embuscade. Même s'il y aura du mieux les années passant, l'art, malgré son affinement, demeure particulièrement rudimentaire. Il m'aura en tout cas rappelé Love Hina, un manga qui n'aura jamais été retenu dans les mémoires comme une pièce de choix parmi toutes les productions graphiques de son époque.


En quoi Yotsuba& touche son public ? C'est une question franche. Pour avoir longuement arpenté les critiques - ou devrais-je dire, les apologies - de ce manga, l'incompréhension demeure et s'intensifie. Il n'y a pourtant pas de quoi se pâmer devant une œuvre qui, au mieux, pourrait être qualifiée de gentillette.
Est-ce parce que Azuma table sur une fibre nostalgique ? Mais, mes bons sires, si vous voulez vous humecter l'œil sur des mangas centrés autour d'une certaine idée de la prime jeunesse, le Journal de mon Père et Quartier Lointain constituent déjà un préambule ; un préambule que vous serez susceptibles d'approfondir plus tard avec 20th Century Boys et Bonne nuit Punpun où la thématique de l'enfance y est admirablement dépeinte.
Ceux-là qui en sont à défaillir devant Yotsuba& fuient en réalité tout traitement crédible de l'enfance. C'est du faux qu'ils réclament et qu'ils encensent, car il n'y a rien de concret derrière ces sourires niais et ces faux-semblants minaudiers délivrés ici à la kilotonne.


Non, ce n'est pas mignon, c'est mièvre. Il n'y a rien de touchant à constater - désabusé - un rendu papier d'où les personnages sont purs et naïfs à l'excès au point d'en devenir inauthentiques et idéalisés.
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ; tout va bien dans le meilleur des mondes kawai. Ces personnages doucereux et fades dont chaque excessive gentillesse sonne fausse nous apparaissent morts à l'intérieur tant ils manquent de naturel. Le vivant et le réel, au mieux, ça le mime. Et mal. C'est un monde largement fantasmé qui s'écoule sous le crayonné de Kiyohiko Azuma, il n'a rien de même vaguement réaliste au regard des réactions de ses protagonistes. Et quels protagonistes, des automates tout juste bon à servir la soupe sirupeuse dans laquelle ils trempent.


Et l'humour, lui qui est censé être présent tombe à plat pour mieux se relever et récidiver. Les facéties d'enfant de Yotsuba n'ont rien d'amusantes bien qu'elles se forcent souvent à l'être. Des bouffonneries puériles tellement répétées qu'elles étalent en plus la fadeur pour la rendre plus terne encore. C'est fatigant, juste fatigant. On sent, dessinés en arrière-plan, les commentaires de l'auteur qui nous hurle presque «Vous avez vu comme c'est touchant tant de naïveté ? Hein ? HEIN ?! HEIN QUE VOUS ÊTES ATTENDRI ?! HEIN ?!». Tout cela est si poussif, de la narration à la mise en scène, il n'y a pas un élément du tableau pour en rattraper l'autre ; l'émotion ici se simule mais ne se suggère aucunement.


Sans doute aurais-je pu me plaindre - à juste titre - de l'absence de personnages secondaires suffisamment nombreux, mais considérant le lot des personnages déjà mis en en scène, je n'aurais alors fait que tendre le bâton pour me faire battre. Cet état de fait, finalement, je m'en contente sereinement. Inutile pour l'auteur de multiplier les nuances d'insipidité, celles déjà mises à notre disposition suffisent.


Yotsuba& est un recueil de tranches de vie recouvertes de sirop, un sirop versé si abondamment qu'il gâte le goût du plat qu'il prétend accompagner. Eh bien qu'on me pardonne de ne pas avaler ça, mais pour l'avoir mâché ce qu'il faut avant de le recracher ici, je puis attester que ce manga est indigeste.


Me voilà sidéré de me dire que quasiment aucune des œuvres de Nobuyuki Fukumoto ne parviennent jusqu'à l'hexagone alors que «ceci» fait florès auprès des lecteurs. À l'aune de ce seul constat, je perdrais volontiers toute estime pour l'humanité à condition que j'en ai jamais eu en premier lieu.
Qu'on attende des années pour un chapitre de Berserk, Hunter x Hunter ou Desert Punk, ça a un sens ; qu'on patiente pour lire Yotsuba& qui n'a rien à offrir, ça me dépasse. La question n'est plus d'ordre critique mais psychiatrique, comment peut-on décemment encenser une composition pareille quand tant de gemmes scintillantes du monde de l'édition manga passent inaperçues ? Jamais l'injuste ferveur suscitée par une œuvre qui ne le mérite décidément pas ne m'aura autant donné envie de crier «Monde de merde».


Quand bien même un certain charme - soyons larges - ait pu s'opérer sur un lecteur inattentif, celui-ci aurait dû, au bout de presque deux décennies, commencer à se lasser de lire les mêmes saynètes mièvres présentées sous des oripeaux à peine divergents.


Me voilà abasourdi par la moyenne plus que confortable dont joui le manga sur SensCritique. Je passerai sous silence les innombrables critiques dithyrambiques se déversant par légions entières et ne souffrant - jusqu'à maintenant - d'aucune contestation. En dehors de l'auto-hypnose, il n'y a guère aucune explication rationnelle pour justifier le succès d'un Yotsuba&, ce dernier ne reposant que sur une curieuse mystification éditoriale. À défaut de bénéficier d'un bon traitement, ici, l'enfance aura bon dos en étant ainsi mise à contribution d'une œuvre si grossière.

Josselin-B
2
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le 12 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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