Pour bien comprendre le propos de Franquin dans Z comme Zorglub, il faut évidemment comprendre que dans les années cinquante, les futurologues de tous bords promettent des lendemains radieux à l'humanité grâce à la toute puissante et bienfaisante science.
Franquin qui y a sans doute cru à une époque, lui qui à été un temoin direct de l'amélioration que la technologie a provoqué dans la vie des gens entre 1924, son année de naissance et ces années cinquante, se montre de plus en plus sceptique.
Le Comte de Champignac a toujours été l'incarnation dans les albums de Spirou et Fantasio de cette science bienfaisante.
Pourtant dans des histoires récentes telles que Le Voyageur du Mesozoique, il introduit un savant atomiste du nom de Sprtchk se réjouissant de la mise au point d'une super bombe aux qualités destructives décuplées pour démontrer le double visage de la science.
Il poussera la recette encore un peu plus loin dans l'histoire courte La peur sur le fil dans laquelle Champignac lui-même, victime d'une erreur, absorbe une substance qui le transforme en individu dangereux utilisant sa science dans un but destructeur.
Il va ici encore plus loin en offrant au Comte de Champignac un alter ego, génie du mal et mégalomane, le très célèbre Zorglub à travers lequel Franquin poursuit ses questionnements sur la science et les avancées technologiques.
Franquin apprécie particulièrement ce procédé puisqu'il y a déjà eu recours avec Zantafio, le cousin maléfique de Fantasio (les méchants chez Franquin ayant tendance à avoir un nom qui débute par la lettre Z, je me méfierais à votre place mes amis français).
Zorglub apparait donc comme l'incarnation de certaines angoisse que Franquin entretient vis à vis de l'avenir, et d'une science devenue folle, qui se gargarise de son propre pouvoir et en oublie sa conscience et ses buts premiers humanistes.
Champignac et Zorglub s'opposent encore en ce que la science de l'un est organique et basée sur la vie et sa diversité, quand la science de l'autre en est la négation, privant les hommes de leur libre arbitre pour une illusion d'unité.
Mais plus encore, Zorglub représente également les dictateurs de tous bords: Hitler, Staline, Mao,... dont les exactions ne sont pas si lointaines, voire même sont contemporaines de la sortie de l'album.
A travers les Zorglhommes décérébrés et obeissants, c'est l'ombre des régimes totalitaires que Franquin attaque, forcément en utilisant son arme de destruction à lui: l'humour.
Franquin va donc avant tout chercher à ridiculiser Zorglub comme ses zorglhommes et ce qu'ils représentent d'une manière équivalente à ce que Chaplin avait fait pour Hitler et les nazis dans Le Dictateur. Dès que Zorglub prend une posture cherchant à se grandir ou essaye d'imposer son autorité, Franquin fera en sorte qu'il prenne un machin sur le pied ou une gamelle monumentale et devienne la risée de ses adversaires (le fou rire de Fantasio est un des passages marquant de l'album illustrant cette volonté de la part du dessinateur et de son équipe).
Franquin oppose aux zorglhommes tous semblables et parlant d'une même voix la diversité de nos héros; à l'organisation méthodique de Zorglub, le chaos salutaire introduit par le marsupilami.
Un autre des passages de l'album marquant voit un mouvement de foule détruisant les installations de Champignac à cause de messages subliminaux entendus à la radio. C'est une illustration plutôt effrayante pour un album de Spirou et Fantasio du pouvoir de la propagande sur les milieux populaires, dont malheureusement Franquin vit la conséquence directe a peine deux décennies auparavant.
Enfin, si les années cinquante sont des années pendant lesquelles la sacro-sainte consommation était toujours en odeur de sainteté et n'avait pas encore pour beaucoup dévoilé ses côtés les plus sombres, l'album se permet quelques critiques sur une science qui lui est de plus en plus assujettie, ainsi qu'un pied de nez assez critique vis à vis de la publicité avec une conclusion que n'aurait pas renié un Philip. K.Dick. L'album suivant, L'Ombre du Z en rajoutera une sacrée couche sur le sujet, mais on en reparlera.
Comme pour les albums précédents, Greg donne un coup de main au scénario, et Franquin utilise le talent de Jidehem pour le dessin de vehicules en tout genre à bon escient.
L'aspect science-fiction du récit renforcé par une qualité de dessin et une science du mouvement d'un niveau astronomique (ça tombe bien) fait aussi de cet album une réussite éclatante.
Z comme Zorglub se classe parmis les plus grandes réussites de l'ami André Franquin, un indispensable de la série, un classique absolu, et un chef d'oeuvre de la BD franco-belge, rien que ça!