Zankoku no Kami ga Shiai Suru est, pourrait-on dire – et je le dis – un chassé-croisé trouvé entre les films Festen et Mort à Venise. Mort à Venise dont l’auteur s’est tout particulièrement inspirée, prenant le jeune éphèbe en modèle pour définir le character design de ses personnages. Autant, cet aspect relativement androgyne ne m’avait pas dérangé le temps de ma lecture de Nous Sommes Onze – pour la bonne et simple raison qu’il n’était pas aussi prononcé – mais ce que j’observe ici est vomitif au possible. Les dessins sont impeccables, qu’on m’entende, mais ces physiques de jeunes hommes filiformes aux airs d’Adonis juvénile me fatiguent. On peut reconnaître objectivement que le trait est soigné, mais on ne pas décemment aimer ce qu’il dépeint lorsqu’un chromosome Y se balade quelque part dans notre ADN. Il est, dans le milieu du manga, des traits féminins qui peuvent avoir un charme certain, mais celui-ci est horripilant au possible. D’autant plus lorsque l’on sait ce qu’est exactement Mort à Venise en tant que film ; ce que le film représente fondamentalement. Un contenu franchement malsain, présenté sous de jolis oripeaux brodés afin de dissimuler l’infamie derrière le strasse.
Parlons des femmes d’abord. Ne serait-ce que pour s’échauffer. Tous les personnages féminins, ici, sont des nunuches remplies de vide, juste bonnes à gémir, larmoyer ou bien ouvrir en grand leurs yeux larges comme des baies vitrées avec un sourire cruche. Je ne me souviens pas avoir lu de personnages aussi mièvres, aussi creux, aussi… cosmétiques – car elles sont là en tapisserie – du temps de Nous Sommes Onze, dont je dus vérifier à nouveau si les deux œuvres étaient bien du même auteur ; la thèse de l’homonymie étant alors recevable considérant ma déception. C’est effectivement Moto Hagio qui a écrit et dessiné les deux. Force est de constater qu’elle aura considérablement avili son dessin ainsi que son écriture au point que je ne reconnaissais ni son trait, ni sa patte d’auteur.
Je la remercie néanmoins de ne pas avoir fait dans le voyeurisme en sachant pudiquement et habilement ne pas expliciter graphiquement ce qui n’avait pas à l’être. Trop peu d’auteurs ont ce tact, préférant choquer par excès qu’outrer par minutie.
Les prémisses sont horribles et justifient qu’on puisse être intrigué par l’œuvre. Un jeune homme dont la mère a tenté de se suicider parce que son prétendant a rompu leurs fiançailles décide de se donner audit prétendant qui le désire afin qu’il revienne sur sa décision. C’est terrible, la mise en scène présente ça bien ; je n’ai pas à redire jusque là. Mon propos n’étant pas en effet que le manga incombe aux bonnes mœurs, dont je n’ai jamais fait grand cas.
Ce pacte faustien, d’abord consenti par Jeremy afin de sauver sa mère, le conduit par la suite à être violé par ce beau-père sournois et sans scrupule pensant pouvoir profiter de lui comme il l’entend par le seul pouvoir du chantage.
Ce qui me conduit à l’évocation suivante : pourquoi ne pas avoir piégé Greg ? L’intrigue se passe durant les années 1990, il existait déjà à cette époque des magnétophones discrets, de quoi permettre à Jeremy d’enregistrer Greg exprimer ses désirs à son endroit. Il aurait suffi ensuite de les envoyer à Sandra pour qu’elle comprenne de quoi il en retourne. Je pense que n’importe qui de censé aurait privilégié ce plan à ce qu’a accompli Jeremy. Ou alors, ne serait-ce que dire à Sandra que Greg lui a fait des avances, ce qui explique pourquoi, après avoir été repoussé, ce dernier a rompu les fiançailles de peur de se faire pincer.
Y’avait un million de recours avant de se laisser violer. Mais l’intrigue, comprenez-vous... l’intrigue.
La manière dont il sera isolé par la suite, notamment délaissé par Vivi, sera bien pensé. La situation dans laquelle il est s’avère difficilement explicable et, quand bien même l’énoncerait-il pour ce qu’elle est qu’elle n’aurait rien de convaincante. De même, la manipulation perverse opérée par Greg est bien orchestrée.
Mais comment personne n’a jamais percé ce con de Greg à jour ? Quelques semaines après être arrivés à Londres, tout le monde voit de quoi il est capable. Or, il a toujours été ainsi. Même la dernière des ribaudes sait qu’il a tué sa femme. Le type est un sadique qui viole son beau-fils dans sa propre maison tandis que ses fils, sa femme et son personnel sont dans les alentours. À un moment donné, ce genre de choses finissent par se savoir. Même cette cruche de Sandra – à qui il aura fallu qu’on lance de l’eau bouillante pour un peu réagir – a fini par s’en rendre compte. La trame ne tient debout que du fait de l’infinie crédulité de Jeremy et Sandra.
L’intrigue paraît faire du surplace. Les mêmes scènes se rejouent en boucle, on traîne à nous expliquer et nous soutenir que Greg ait tué sa femme – bien que cela soit su dès le départ – tout ça pour partir dans des histoires rocambolesques, comme quoi Matt serait le fils issu d’une union adultérine de la femme décédée de Greg, la bonne là encore assassinée par Greg qui ne se fait jamais pincer bien qu’il ne fasse montre d’aucune discrétion dans ses atrocités….
Qu’est-ce qu’on s’en fout à longue. Ça tourne réellement au feuilleton entrecoupé de scènes de viol BDSM.
Il faudra neuf volumes pour que Ian finisse par apprendre ce que n’importe qui aurait pu deviner relativement aux inclinaisons de son père. Il aura découvert que l’eau mouille à mi-parcours de l’œuvre. Et l’écrire m’amène à me dire que l’enquête patine là encore, qu’on se perd en afféteries diverses – aux sous-entendus homo-érotiques pour changer – au point de ne pas aller droit au but. Dix-sept tomes de Le Règne d’un Dieu Cruel auraient aisément pu être condensés en cinq. L’auteur a clairement un problème quant à la gestion du rythme de ses compositions. Lorsque Nous Sommes Onze filait à toute blinde au point de contenir en un volume ce qui aurait pu être étalé en cinq, Le Règne d’un Dieu Cruel semble avoir détendu l’élastique au point que ce dernier n’est alors plus qu’une ceinture.
Finalement Ian, n’ayant initialement aucun penchant homosexuel, se résout à culbuter Jeremy. Tous les effets de manche de la mise en scène, durant onze volumes, auront mené à cet événement qui s’orchestre sans que cela n’ait de sens. Jeremy, drogué à mort par son dealer, manque d’être violé par ce dernier et un compère ; Ian le sauve, le ramène chez lui et lui fait la leçon en… l’embrassant puis en s’éconduisant plus loin afin de lui faire promettre de ne plus se prostituer.
Ça n’a aucun sens.
Mais l’intrigue encore une fois mes bons amis, l’intrigue le commande ! Pourquoi ? Parce que la tension homo-érotique avait été consolidée jusqu’à présent à cette seule fin qui, de finalité, n’en avait pas tellement. Ian, pourtant en couple avec une femme, tombera alors amoureux de Jeremy et deviendra exactement comme son père. À croire que l’homosexualité, comme les penchants sadiques se transmettent de père en fils.
Attends, quoi ?
Je vous avais prévenu : c’est un feuilleton pour bonne femme. Avec Poppy qui en a marre de Eric, parce qu’il ne parle que de Valentine et puis y’a Marjorie qui est amoureuse de Ian qui lui est épris de Jeremy mais, faut oublier que y’a aussi Nadia, Natasha et Pascal, sans compter William et Abby dont l’amour est impossible, d’autant que Marjorie manipule William que Lulu a en vue et… j’ai les paupières qui se ferment rien que de recenser ce ramassis de conneries dont je suis le lecteur atterré. Un feuilleton vous dis-je ; c’est devenu un feuilleton. Et pas un bon.
Apparemment, les auteurs japonaises ont l’air de penser qu’un mâle vire sa cuti comme ça, du jour au lendemain. Et quand on observe ici le nombre d’homos au mètre carré, on finit à la longue par se demander si on ne relit pas simplement un remake nippon de la cage aux folles. Ce qui partait d’une histoire dramatique, scabreuse et saisissante pour ce qu’elle avait de terrible a finalement viré en Fruit’s Basket version éphèbe. On y passera son temps à ressasser les éléments que nous avons déjà lu, à nous parler de Sandra et Greg sans arrêt alors qu’ils sont morts depuis longtemps déjà.
C’est du dramatisme lourdingue et répétitif que l’on subit. « Tu les as tués, tu les as tués, dis-le que tu les as tués… assassin… mais je t’aime parce que tu as tué Greg ». C’est d’un lourd, vous n’avez pas idée. Je n’exagère pas quand je dis de l’œuvre qu’elle a dix tomes en trop, où l’on n’y répand plus que des répliques dignes des Feux de l’Amour en prenant soin de répéter cent fois ce que l’on sait déjà.
Tout à la fin, Jeremy fantasme d’embrasser sa mère et puis ça a l’air d’aller mieux après, il peut à nouveau aimer. Je crois. Je pense. Je m’en fous.
Ça partait d’un drame, ça vira au graveleux trempé dans du dramatisme excessif pour finalement se perdre dans un roman de gare pour péronnelle. Ce manga, on me l’avait pourtant vendu comme grandiose, à même de bouleverser son lecteur. Les seules fois où je suis tombé de ma chaise tenaient au fait que je me sois assoupi profondément en m’imposant cette purge clairement surestimée – 8,7 de moyenne sur SC avant que je ne publie ma note et ma critique. Ça traitait sans doute d’un sujet sensible, mais c’en a fait une parodie à terme au point de décrédibiliser tout propos qui soit. C’est un sur-Shôjo, un accomplissement qui, en soi, n’a rien de méritoire. Il suffit de lire l’œuvre jusqu’au bout pour s’en convaincre.