Zaza Bizar
7.7
Zaza Bizar

Roman graphique de Nadia Nakhle (2021)

Élisa a huit ans au début du récit. Surnommée « Zaza Bizar » en raison de son incapacité à communiquer selon les conventions, elle vit l’école comme une épreuve. Ostracisée, parfois ouvertement brocardée par ses camarades de classe, elle doit en outre essuyer l’incompréhension de ses professeurs, qui la voient comme une élève désinvolte et perturbatrice. À la maison, c’est à peine mieux : elle se sent responsable des disputes de ses parents, lesquels hésitent sur les suites à donner à son handicap. Faut-il scolariser leur fille dans un établissement spécialisé ? Quel spécialiste consulter ?


Nadia Nakhlé fait fi du récit classique pour épouser la forme d’un journal intime illustré. Cela a deux conséquences : le lecteur se trouve en prise directe avec les sentiments d’Élisa, lesquels bénéficient d’un coup de crayon sophistiqué et volontiers onirique. Zaza Bizar peut bien entendu être vu comme une ode à la différence, mais l’y réduire serait toutefois trompeur. Adoptant le point de vue d’une enfant « dys », radiographiant ses émotions et ses environnements – de la famille à l’école en passant par les cabinets médicaux –, l’album s’ouvre progressivement vers le récit d’apprentissage, d’acceptation de soi, d’ouverture au monde, le tout avec une justesse que rien ne viendra contrarier.


Zaza Bizar parvient très bien à restituer le ressenti d’une fillette souffrant de dyscalculie, dyslexie, dysorthographie et dysphasie. Les situations sociales gênantes, les mots « prisonniers » en soi, la place considérable occupée par les mondes intérieurs, les silences imposés constituent une réalité douloureuse auquel seul le travail d’une orthophoniste pourra apporter des solutions satisfaisantes. Ainsi, après avoir connu la marginalité et l’incommunicabilité, Élisa confesse : « Plus peur des lettres qui se mélangent ou des mots qui se bousculent. Plus peur de ma voix, ni de mes silences. Plus peur d’être la seule à connaître la palette des mots de ma planète. »


Dans son album, Nadia Nakhlé ne propose finalement rien de moins qu’« un très grand voyage ». Un voyage somptueusement illustré (parfois dans une veine très burtonienne), aux côtés d’une enfant aux troubles gênants, dont on partage les confidences et les sentiments. À l’image de cette illustration où Élisa est pointée du doigt de toutes parts, Zaza Bizar rappelle à quel point le normatif peut enfermer les individus et les rendre intolérants à la différence. L’incommunicabilité d’Élisa n’est alors que le symptôme manifeste d’une crise plus large : l’impossibilité de prendre langue avec autrui dès lors qu’une spécificité (biologique, culturelle, sociale…) vous sépare.


Sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
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le 6 oct. 2021

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