Dire que j’attendais avec impatience le nouvel opus de la saga James Bond est un doux euphémisme tant Spectre est certainement le film en lequel je plaçais le plus d’attentes en cette année 2015. Outre le fait que l’on puisse me qualifier de fanboy du fait du fort attachement que je porte à la série, il y avait de nombreuses raisons objectives d’attendre un opus de qualité.
Pour commencer, le James Bond porté par Daniel Craig est probablement mon préféré avec celui de Timothy Dalton dans son interprétation froide et violente, proche de celui imaginé par Ian Flemming. A titre personnel, je pense d’ailleurs que l’arc amorcé depuis l’arrivée de Daniel Craig est le plus ambitieux de la saga jusqu’alors, dans leur volonté de créer des épisodes plus intelligents, approfondissant l’écriture du personnage, dépassant alors le cadre du simple divertissement sympathique mais efficace. A ce titre, avec « Skyfall », Sam Mendès a apporté à la réalisation une maîtrise que l’on n’avait encore jamais trouvée au sein de la série. La qualité des plans, des mouvements de caméra ainsi que le travail incroyable sur la photographie se faisaient témoin de la volonté de propulser James Bond à un autre niveau cinématographique.
Le retour de Sam Mendès et de son équipe technique sur un projet aussi intéressant que celui de Spectre ne pouvait que mettre l’eau à la bouche. Le nom de « Spectre » n’est sans doute pas évocateur pour la plupart des spectateurs, mais les connaisseurs de la saga ne peuvent que se montrer au minimum intrigué par ce qui est finalement le retour de l’organisation contre laquelle James Bond s’est battu dans les sept premiers films de la série à l’exception de « Goldfinger ». Pourtant, je n’ai jamais été fan de cette organisation de criminels ayant la main mise sur tout et répondant à un nom signifiant uniquement qu’ils sont « méchants, très méchants » (« Spectre » est un acronyme pour « SPecial Executive for Counter-intelligence, Terrorism, Revenge and Extortion » ou en français « Service Pour l'Espionnage, le Contre-espionnage, le Terrorisme, la Rétorsion et l'Extorsion)… difficile de penser à quelque chose de moins subtil et de plus cliché en terme d’association de malfaiteurs. Mais je ne pouvais qu’être curieux de voir cette organisation remise au goût du jour, surtout avec le traitement actuel de la saga et la présence de Christoph Waltz pour porter son chef charismatique.


Heureusement, l’équipe derrière « Spectre » est consciente du poids qui pose sur leurs épaules et s’applique à répondre à toutes ses attentes en essayant de faire encore mieux que « Skyfall ». Cependant, nous verrons que cette volonté se retourne contre eux puisqu’à trop vouloir faire de « Spectre » le film ultime de la série, ils finissent par passer à côté de leurs ambitions.


Sur un plan purement technique, il tient en tout cas toutes ses promesses et ce dès l’ouverture. En effet, il démarre sur un plan séquence édifiant au milieu de la Fête des Morts au Mexique. La maîtrise de ce plan est tellement incroyable qu’on est terriblement triste de passer au plan suivant. Heureusement, la réalisation se montre sans faille tout au long du film, avec des cadrages absolument sublimes et des déplacements de caméra extrêmement travaillés. La photographie, cette fois-ci dirigée par Hoyte van Hoytema, est une nouvelle fois magnifique, tirant le meilleur profit des différentes localisations traversées et offrant une qualité d’image nocturne de toute beauté. Une séquence très lumineuse se montre également mémorable visuellement.


Mais si l’on accueille à nouveau une qualité cinématographique qui atteint des sommets, peut-être même avec une virtuosité surpassant celle de « Skyfall », les défauts tirant « Spectre » vers le bas se situent davantage dans son fond plutôt que dans sa forme.
Pourtant très confiant de ce qu’il a à raconter, « Spectre » s’amuse à augmenter les attentes des spectateurs et à les aguicher en se plaçant comme l’aboutissement de l’arc de Daniel Craig. Il tisse de nombreux liens avec les films précédents, s’évertuant par-dessus tout à vouloir créer une sorte d’entité absolue où tout mène à l’organisation Spectre. Les scénaristes ne s’arrêtent pas là dans leur volonté de conférer à « Spectre » une allure de conclusion épique et intense, en multipliant des propositions d’enjeux dramatiques pour faire de ce film l’opus de James Bond ultime. Par exemple, ne pouvant pas se contenter de présenter une organisation criminelle à l’échelle mondiale dirigée par un leader charismatique, ils se sentent obligés de créer un passé commun entre celui-ci et James Bond, de sorte à faire de cet affrontement une conclusion entre deux rivaux de longue date.
Malheureusement, si ces enjeux peuvent sembler intéressants sur le papier, ils ne fonctionnent jamais véritablement au sein du film.


L’histoire manque clairement d’un sentiment de menace, d’un véritable danger émanant de l’organisation criminelle. Tout le film semble se contenter de jouer sur le passé de James Bond pour donner une impression d’omniprésence de Spectre, mais cela ne dépasse à aucun moment ce simple sentiment d’impression. Utiliser les précédents films ainsi que développer l’histoire du passé de James est une bonne idée pour donner un background menaçant à Spectre, mais cela ne suffit pas pour rendre cette organisation menaçante. Il aurait fallu que l’organisation Spectre mette sur pied un plan machiavélique, dangereux, quelque chose à contrecarrer… Mais concrètement Spectre ne fait pas grand-chose dans ce film, et la seule menace à laquelle ils participent manque grandement de grandeur, d’originalité et de saveur.
Pour compenser cela, ils jouent beaucoup trop sur les liens avec les précédents opus, en insistant dessus à outrance, parfois malheureusement en passant au-dessus de la cohérence intrinsèque. Poursuivre l’histoire de « Casino Royale » et de « Quantum of Solace » en intégrant l’organisation Quantum à celle de Spectre est une bonne idée en termes de prolongement. En revanche, intégrer Raoul Silva à Spectre n’a absolument aucun sens et casse même tout le propos de « Skyfall » qui était avant tout une quête personnelle.
On sent donc beaucoup trop que les liens entre les différents films n’ont pas été pensés à la base mais ont été rajouté afin de donner plus de consistance à ce « Spectre ». Il est donc difficile d’y croire tant cette imbrication semble forcée et un peu bancale. Ainsi, quand on nous explique que tous les grands méchants de la saga ont touché la bague que James récupère au début du film, on sourit tellement cela paraît grossier et d’une facilité scénaristique déconcertante.


De la même manière, l’intensité dramatique qu’ils essaient d’impulser via l’existence d’une haine de longue date entre James et Oberhauser (le grand méchant du film) n’arrive jamais à atteindre le climax auquel elle prétend, et ce pour plusieurs raisons.
La première c’est qu’encore une fois on peine à croire en la crédibilité de ces liens. Ce passé commun manque grandement d’étayage : il n’est qu’énoncé mais n’est jamais approfondi. Il n’y a aucune introspection de James Bond vis-à-vis de son rapport à Oberhauser et on en reste à un état de grande platitude en termes d’écriture. Même la grande révélation qui nous explique enfin de quelle nature sont ces liens manque grandement de panache et parait bien trop simpliste. Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas un grand fan de l’idée de lier le chef de Spectre à James Bond de n’importe quelle manière, mais je ne demandais qu’à être convaincu, qu’on me fasse ressentir que ces liens apportent quelque chose au film… mais ce n’est jamais le cas. Concrètement, ici encore, cette idée n’apporte… rien. D’une manière plus générale, Oberhauser est même étrangement écrit. Difficile de lui définir une personnalité cohérente tant il part dans tous les sens et manque finalement d’une identité propre. Ce n’est pas un personnage en lequel j’ai cru, ce qui m’a fait encore moins croire en l’organisation Spectre. Ils essaient de placer Oberhauser comme une sorte de Némésis marquant, l’équivalent d’un Joker ou d’un Darth Vader, mais cela ne prend jamais.
Et c’est directement en lien avec la seconde raison qui est que la confrontation entre James Bond et Franz Oberhauser n’est marquante à aucun moment. Oberhauser n’est mis en avant que par les magnifiques plans de Mendès mais peine à l’être de manière scénaristique. On a beau me dire qu’il est terriblement méchant et qu’il contrôle tout, si je n’en ai jamais l’impression au cours du film ce n’est pas un mince problème. Il y a très peu de dialogues entre ces deux personnages, très peu d’altercations, pas de véritable duel ou de mise à l’épreuve. Au-delà même de la confrontation entre les deux, Oberhauser ne fait jamais rien de son aura menaçante. Son Spectre n’est finalement qu’un écran de fumée.
J’ai le sentiment que « Spectre » est passé à côté de son potentiel de créer un des méchants les plus marquants de la saga en ne se saisissant pas des opportunités de le faire briller et surtout en n’allant pas au bout de ce qu’il propose. C’est d’autant plus frustrant que Christoph Waltz est vraiment bon, comme à son habitude, mais l’écriture de son personnage ne permet pas d’en faire un de ses rôles les plus mémorables. On retiendra tristement qu’il a joué du Christoph Waltz, mais sans l’approfondissement nécessaire pour rendre son personnage unique dans la galerie de tous les personnages qu’il a incarné.


L’un des plus gros défauts de « Spectre » est essentiellement qu’il n’est jamais l’aboutissement qu’il prétend être. Il ne propose jamais de réel climax et se termine presque comme un cheveu sur la soupe. Trop rapidement. Avant même de proposer le duel que l’on attendait.
C’est peut-être la narration qui est la plus fautive puisque celle-ci est bridée à un format de 2h30 alors qu’elle aurait eu besoin de plus de temps pour traiter tout ce qu’elle aborde. Sam Mendès gère le rythme de manière très habile pour nous intéresser et nous intriguer. Il prend son temps, il place des ambiances, il crée des situations. Le film n’est d’ailleurs jamais ennuyant alors qu’il propose de nombreux moments de calme. Les péripéties viennent soutenir le rythme toujours à point nommé et sont toujours très efficaces et même palpitantes. Mais le choix de développer davantage l’exposition des différents éléments de l’intrigue et non pas l’intrigue elle-même est discutable. « Spectre » est un film qui prend essentiellement le temps d’exposer. Il expose longuement la découverte de l’organisation Spectre, longuement la compréhension de celle-ci, longuement la préparation à la confrontation à celle-ci… alors quand finalement cette confrontation intervient, il ne reste plus le temps de la développer et de l’approfondir et c’est forcément décevant puisque l’intrigue est construite sur des promesses qui ne sont jamais tenues.
« Spectre » donne la terrible impression de ne pas se suffire en lui-même. J’ai eu le sentiment d’avoir vu le prologue du film suivant. Une sorte de « Spectre : Partie 1 ». Et pourtant, la fin du film fait sens et pourrait même servir de conclusion à ce que l’on pourrait appeler la « saga Daniel Craig ». Mais cela serait à mes yeux extrêmement décevant puisque l’on passerait à côté de tout le potentiel de la confrontation avec Spectre, à la fois au sein de ce film là mais aussi dans la saga en général. Ce serait une conclusion peut-être sympathique mais surtout décevante et loin d’être à la hauteur.
Si un prochain film venait à servir de prolongement et former cet aboutissement épique que l’on attendait, « Spectre » serait moins décevant et plus excusable puisqu’il s’inscrirait dans une construction logique inter-épisodes. Malheureusement, à l’heure actuelle, impossible d’en être certain et l’on ne peut que rester sur sa faim, sur ce sentiment d’avoir vu un film qui ne va pas au bout de ce qu’il aurait dû être.


Cette déception est d’autant plus marquée (ou au contraire peut être atténuée, c’est selon) que « Spectre » est très loin d’être une purge et s’inscrit même parmi les meilleures films de la série (les mauvaises langues diront que ce n’est pas très difficile). Encore une fois, c’est quand on voit que ce film avait vraiment le potentiel d’être peut-être le meilleur film de la saga qu’on ne peut être qu’encore plus déçus.
Outre les grandes qualités cinématographiques que j’ai déjà abordées, « Spectre » a en effet de nombreux éléments intéressants. Tout d’abord, la musique est l’un des points auxquels je fais le plus attention dans un James Bond et la composition de Thomas Newman est une nouvelle fois très réussie, jouant sur différents types de sonorité et soutenant bien l’action. Elle utilise par ailleurs l’instrumentalisation de la chanson titre « Writting on the wall » pour former ce que l’on pourrait qualifier de thème principal mélancolique qui se prête bien à la tonalité du film. Sans égaler pour autant l’atmosphère musicale que composait si bien John Barry, la musique de Newman est assurément un des points forts du film.
Ensuite, ses scènes d’action sont impressionnantes, particulièrement bien mises en scène et jouent parfaitement avec l’ambiance sonore pour composer une intensité. A ce titre, la séquence pré-générique est probablement une des meilleures de la saga. Seule la poursuite à Rome manque de nervosité puisqu’elle n’est jamais spectaculaire, mais toutes les autres scènes d’action tiennent leurs promesses et sont d’ailleurs plus nombreuses ou du moins apparaissent de manière plus régulière au cours du film.
Le personnage incarné par Dave Bautista est d’ailleurs une des grandes réussites du film puisqu’il est l’un des meilleurs méchants secondaires depuis longtemps dans la série. Il est tellement impressionnant qu’il tient la comparaison avec des pointures comme Jaws. Cependant, je déplore une disparition trop rapide qui l’empêche lui aussi de tirer profit de tout son potentiel. Il tient une position un peu bâtarde dans l’écriture du film et ses interventions paraissent aléatoire et simplement dans le but de servir un rythme et non pas une progression scénaristique.
Un autre point fort du film est d’avoir réussi à intégrer l’humour de manière pertinente, donnant un brin de légèreté à un ton globalement très noir. « Spectre » se montre ainsi véritablement drôle à certains moments, tirant merveilleusement profit des interactions entre James Bond et Q (toujours parfaitement incarné par Ben Whishaw).


Les autres points sont plus ambivalents et concernent le traitement des différents personnages secondaires. Si j’apprécie toujours autant de voir M, Monneypenny et Q intégrés directement à l’intrigue et ne faisant plus simplement de la figuration, ce développement dessert quelque le développement de l’intrigue principale. Encore une fois, le problème de « Spectre » est qu’à trop vouloir en raconter, il finit par ne plus raconter grand-chose et souffre d’un développement qui reste bien trop souvent en surface. L’intrigue à laquelle ces personnages sont confrontés est intéressante et s’intègre bien à la trame principale, mais le suspense n’y est pas très important et à mon sens cela participe à l’absence de climax final. Le choix était probablement délicat, mais le film aurait peut-être été meilleur s’ils avaient délaissé ces trois personnages pour privilégier une focalisation sur James Bond et le personnage incarné par Léa Seydoux.
Celle-ci, généralement ardemment critiquée, s’en sort vraiment très bien et compose une James Bond Girl intéressante qui est loin de n’être qu’un faire-valoir. Elle est pleine de charme et de personnalité et sera certainement retenue comme l’une des plus réussie de la saga. Le problème, et il n’est pas des moindres, c’est que sa relation avec James manque grandement de développement. Difficile de croire en la rapidité de l’évolution de leur relation et le film échoue donc là où il y a avait un véritable potentiel.


C’est un bien triste constat que je dresse à propos de « Spectre » dont le leitmotiv principal est le manque de développement scénaristique. Il reprend un schéma plus proche des premiers films, mais l’importance donnée au traitement de son scénario fait que les failles sautent aux yeux et apparaissent comme de véritables défauts.
Loin d’être un mauvais film pour autant, « Spectre » est un divertissement honnête qui m’a enjoué pendant tout le visionnage jusqu’à ce que je me rende compte que toutes ses promesses tombent à l’eau. C’est un film d’action efficace, plein de moments forts, porté par une réalisation maîtrisée et parfois éblouissante ainsi qu’un jeu d’acteur talentueux. Dommage cependant qu’il reste en surface dans son écriture et surtout qu’il ne propose pas le climax attendu.


PS : Vous avez mis probablement deux à trois fois plus de temps à lire cette critique que Monica Bellucci n'a de présence dans ce film.

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le 4 nov. 2015

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