Quatrième (et dernier ?) volet de la période Daniel Craig, ce nouveau James Bond se veut une suite directe de son grand frère Skyfall qui nous avait tous bluffé en 2012. Et parce qu'on ne change pas une équipe qui gagne Sam Mendes revient à la réalisation pour diriger ce nouveau 007, celui censé dans les ténèbres tous les lier, comme disait l'autre.
Depuis Casino Royale en 2006 qui rebootait toute la mythologie 007 sur l'autel de la modernité, le mot d'ordre à chaque film était de reconstruire la figure de James Bond : la scène de gala en costard, le vodka-martini [au shaker putain, toujours au shaker !], la scène de course-poursuite en voiture, la scène de torture par le grand méchant, la réintroduction d'un nouveau Q et d'un nouveau M, plus dans l'ère du temps. Les épisodes de Craig procèdent en rebâtissant pièce par pièce un James Bond classique dans un monde moderne, ce qui créée d'ailleurs un propos intéressant sur l'utilité de James Bond [comprenez l'utilité des films 007] chez Sam Mendes, le tout dans une perspective plus intimiste du personnage, où l'on apprend à connaître son passé, sa psyché.
Et Spectre dans tout ça ? Spectre suit la recette et se pose même comme la finalité, la dernière pierre de l'ère moderne.
L'organisation SPECTRE en relique cinématographique venue de la période classique de 007, une thématique de surveillance généralisée informatisée [rêve suprême de Manuel Valls] pour la modernité, et un ennemi juré surgi du passé de Bond pour le hanter pour l'intime; vous l'avez maintenant compris, Spectre ne mise ni sur son scénario ni sur son originalité.
Je pense que Spectre mise avant tout sur son casting. À raison ? À tort ? Oui et non.
Si l'aisance de Daniel Craig à incarner le personnage n'est plus à prouver, celle de son antagoniste à l'écran, Christoph Waltz, est un nouveau tour de force tout en subtilité pour l'acteur d'Inglorious Basterds [Haters gonna hate Tarantino]. Waltz joue l'ennemi typico-classique de Bond, mais est diablement efficace tant il est taillé pour le rôle, inquiétant dans sa sobriété et menaçant dans son caractère imprévisible, jamais caricatural mais finalement trop peu à l'écran à mon goût.
Entre une Moneypenny rafraichissante et un Q moins mordant qu'auparavant [dommage...], Ralph Fiennes parvient également à tirer son épingle du jeu intelligemment en mettant en scène un M dépoussiéré, moins souvent derrière un bureau qu'à botter des culs.
Et enfin, Dave Bautista [BATISTAAAAAA !], nouvelle star d'action d'Hollywood, parfait en homme de main, à la fois gigantesque et (presque) muet. La scène de bagarre entre Daniel Craig et l'ancien catcheur que j'attendais depuis un an m'est apparu comme un rêve de gosse et une des meilleurs séquences d'action du film.
Mais en contraste de ces quelques personnages très réussis [et d'autres plus anecdotiques dont je vous ferai l'économie], les deux Bond girls de circonstances, Monica Bellucci et Léa Seydoux, sont plutôt mal employées. Tandis que la première est finalement très anecdotique, à peine le temps d'installer le personnage, de la sauver des méchants, une étreinte torride et on repart comme si de rien n'était, la seconde qui nous était présentée comme une sorte d'alter égo féminin de Bond est finalement pour moi plus un boulet avec une perruque qu'une femme forte. Et même si à l'écran l'alchimie fonctionne, même après la fin du film, je ne comprends pas l'utilité du personnage, qui arrive comme un cheveu sur la soupe et qui semble différente aux yeux du héros pour une raison qui m'échappe complètement.
L'autre point noir du film selon moi est son rythme un peu bâtard. L'atout de Skyfall est que sitôt le film lancé sur ses rails on ne s'arrête plus, les moments de drames nuancent chaque séquence d'action, chacune plus folle et plus longue que la précédente, dans une maîtrise parfaite du rythme et avec en point d'orgue la double-séquence de Londres, à couper le souffle. Ici, le film souffre d'un moment plutôt plat dramatiquement qui rompt l'équilibre et nous sort du film sans que l'on puisse s'y raccrocher vraiment dans un dernier tiers vite expédié.
Cependant le film peut se vanter de plusieurs scènes vraiment à couper le souffle et qui n'ont rien à envier à son grand frère, le summum dramatique étant pour moi la réunion du SPECTRE à Rome. Car hormis un plan séquence de 10min en ouverture du film [concours de bite suprême dans le rap game des réalisateurs à la mode], Sam Mendes réserve ses effets de style (prêtez attention à la lumière et aux ombres) pour ces moments de dialogues à gros enjeux, véritable intérêt du film, et qui constituent la quasi totalité des apparitions de Waltz.
En ballotage entre un Skyfall qui avait déjà tout pour lui et un marketing à gros sabots qui nous promettait beaucoup (trop), Spectre échoue dans son ambition d'être l'apothéose de la période Craigienne des 007 mais n'en demeure pas moins un excellent divertissement qui n'a pas à rougir de sa performance.