C'est une étrange coïncidence : Marty McFly, célèbre touriste temporel, serait arrivé en 2015 au bon moment pour aller voir Spectre au cinéma. Mais parmi tous les objets spectaculaires et fascinants que "le futur" lui aurait proposé, celui-ci à coup sûr l'aurait un peu déçu. Après tout, il avait les mêmes à la maison, non ?


Si la scène d'ouverture est certainement très réussie, les choses se gâtent avec le générique, dont le kitsch outrancier renoue avec la pire tradition : femmes nues et anonymes à la pelle, tentacules, jets d'encre... c'est bien simple on se croirait chez Hokusai — pour ne citer ce que le Japon a fait de plus élégant en matière d'association de femmes et de pieuvres. Et c'est ensuite la course effrénée au pire.


Là où Skyfall nous présentait, non sans un certain brio, un James Bond affaibli, diminué, incapable de réussir ses tests, humain en somme, force est de constater que la machine de guerre conçue pour tuer est ici de retour, monsieur muscles en personne, capable de se relever sans même ressentir un peu le tournis après avoir été projeté contre une cloison de métal ou s'être écrasé en avion. Certes, nous sommes aujourd'hui plus qu'habitués à ce genre d'aberrations, il n'y a pas vraiment de quoi s'en formaliser, mais c'est là se priver de ce qui faisait une partie du charme du personnage dans l'opus précédent, et c'est bien dommage.


Parlons rapidement du ridicule du master plan du mastermind éponyme : Christoph Waltz peine à nous convaincre de son pouvoir de nuisance, surtout quand il admet que nombre de ses efforts passés furent dédiés à faire souffrir notre héros inexpressif en le privant de toutes les femmes de sa vie. Avec le coup du "frère adoptif", on atteint d'ailleurs des sommets dans le niais : James Bond n'est plus un agent secret un peu borderline au service du côté le plus trouble du gouvernement britannique, il est l'Élu en personne, celui vers lequel tendent constamment les efforts d'une organisation secrète surpuissante et richissime. Voilà un beau sens de la mesure, vraiment. Et ce n'est pas cette histoire de contrôle mondial des données, tentative maladroite de faire coller ce scénario indéniablement daté aux problématiques contemporaines, qui peut effacer cette impression d'incohérence dans les objectifs du "méchant" de l'affaire.


Enfin, et il s'agit vraiment du pire, on savait depuis longtemps que Mr 007 entretenait des rapports plus qu'asymétriques avec la gent féminine, mais là... chapeau. Monica Bellucci nous prouve qu'elle a encore de beaux restes quand il s'agit d'interpréter une scène de viol — appelons un chat un chat ; s'il vous prend l'envie d'entamer un débat sur le fait que "oui mais non, elle est consentante en fait", rendez-vous service et abstenez-vous — et Léa Seydoux, dont le tort est visiblement d'être jolie, se prend un somptueux slut-shaming dans la gueule avec, en substance, "si vous ne voulez pas que je vous regarde comme ça, vous n'avez qu'à pas ressembler à ça" — rappelons-le à toutes fins utiles, ce n'est pas un compliment.


Ainsi donc, Spectre a su tirer les leçons du passé. Mais, à l'image d'un cancre, il n'a gardé que les mauvaises. Exit la tentative de début d'amorce de profondeur psychologique, bonjour le surhomme indestructible ; exit les opposants charismatiques aux motivations troubles, bonjour les Némésis intimes ; exit les relations complexes avec une femme de pouvoir, bonjour le machisme surprotecteur. Ah, vraiment, la mode est au vintage... Et qu'on ne vienne pas me dire que c'est justement pour ça qu'on aime James Bond : si vous aimez les fruits pourris, essayez d'en goûter des frais, vous m'en direz des nouvelles.


Car il y a quand même un peu de bon dans cet opus : la manière dont les personnages secondaires sont développés. Moneypenny, M et Q, en fidèles soutiens, chacun à leur échelle, chacun à leur niveau, ajoutent un peu d'épaisseur à l'ensemble. Malgré ce qu'il prétend, James n'est pas seul dans cette histoire : il a des alliés qui eux aussi se battent contre les grosses machines mais, eux, ignorent superbement les affaires personnelles. C'est par eux qu'on peut être entraîné dans l'action et c'est d'ailleurs pour eux qu'on tremble le plus. Ne doutons pas que cette belle réussite sera elle aussi abandonnée dans le prochain film.

Anonymus
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le 7 déc. 2015

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Anonymus

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